MUSSOLINI BENITO (1883-1945)
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Ancien socialiste révolutionnaire converti au nationalisme durant la Première Guerre mondiale, Benito Mussolini est l'inventeur d'une nouvelle forme de dictature, adaptée à l'ère des masses : le totalitarisme fasciste. Devenu, après la « marche sur Rome » d'octobre 1922, le « guide » (duce) tout-puissant de l'Italie, il a instauré dans ce pays un régime autoritaire dont la spécificité fut d'imposer au corps social une « révolution culturelle » visant à soumettre chaque individu à l'emprise de l'État et du parti. S'il n'a pas réussi à créer l'« homme nouveau » dont rêvaient les dirigeants fascistes, il n'en a pas moins obtenu, jusqu'au milieu des années 1930, une forte adhésion populaire qui n'a résisté toutefois ni à l'alignement de l'Italie fasciste sur l'Allemagne hitlérienne, ni à l'issue catastrophique d'une aventure guerrière à laquelle il n'avait pas su préparer son pays. Divinisé par ses partisans, adulé par nombre de dirigeants politiques européens, courtisé par Hitler qui s'est longtemps proclamé son disciple avant de faire de lui le complice impuissant de ses crimes, Mussolini a connu en 1945, en réplique aux violences commises par les fascistes, une fin dramatique et ignominieuse.
Entre le rouge et le noir (1883-1922)
Né le 29 juillet 1883 à Dovia di Predappio, près de Forlì, en Romagne, Benito Mussolini est issu par son père – forgeron et cafetier – d'un milieu de modestes propriétaires terriens prolétarisés, puis reconvertis dans l'artisanat et la boutique, et par sa mère de la moyenne bourgeoisie citadine (Rosa Maltoni est fille de vétérinaire et a fait des études secondaires avant d'obtenir son diplôme d'institutrice). Dans son « autobiographie » de 1911 et dans divers écrits ultérieurs, Mussolini ne manquera pas de se définir comme un « fils du peuple » et de pousser au noir le récit de son enfance misérable. Toutefois, si par ses modestes ressources la famille du futur Duce appartient bel et bien au monde des « petites gens », certaines pratiques sociales et culturelles révèlent chez elle l'origine petite-bourgeoise et l'aspiration à réintégrer cette couche de la société. Mussolini a grandi dans un milieu où on lisait et où l'on parlait l'italien plutôt que le dialecte romagnol. Il a reçu quelques rudiments de latin et a appris à jouer du violon : deux marqueurs sociaux qui le distinguent de la masse des fils d'artisans et de paysans au milieu desquels il a passé les premières années de sa vie.
L'enfance de Mussolini fut celle d'un jeune « coq de village », turbulent et brutal, faisant au contact de son père et des clients de son cabaret l'apprentissage d'une culture politique qui est celle du socialisme romagnol. C'est dire que dans l'esprit du jeune garçon – entré à neuf ans au collège des Salésiens de Faenza, où la discrimination sociale opérée par les bons pères achèvera de faire de lui un révolté, puis élève de l'École normale de Forlimpopoli – l'adhésion aux idées révolutionnaires et internationalistes fait bon ménage avec le sentiment national. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération, Mussolini a été élevé dans cette culture et il s'accommode de ses ambiguïtés.
Sorti à dix-huit ans de l'École normale avec son diplôme de maître d'école en poche, Mussolini connaît de grandes difficultés à trouver un emploi. Il finit par décrocher un poste de suppléant à Gualtieri, en Émilie, mais à la fin de l'année scolaire la commune refuse de renouveler son contrat, suite aux scandales provoqués par son comportement violent et par sa liaison avec une jeune mère de famille dont le mari accomplissait ses obligations militaires.
Ce sont moins des mobiles politiques (il milite depuis 1900 à la gauche du Parti socialiste italien, le P.S.I.) qu'économiques qui ont poussé le jeune Mussolini à émigrer. En juillet 1902, il prend le chemin de la Suisse, où il va mener pendant deux ans la vie d'un migrant sans qualification, pratiquant les métiers les plus divers et passant d'un canton à un autre pour échapper aux poursuites qu'entraîne son activité politique et syndicale. C'est en Suisse que Mussolini acquiert les premiers rudiments du métier de journaliste et qu'il noue des relations d'amitié avec certains dirigeants socialistes réfugiés dans la Confédération à la suite de l'insurrection milanaise de 1898. Deux d'entre eux ont joué un rôle majeur dans sa formation politique : Giacinto Menotti Serrati et Angelica Balabanoff.
Considéré comme déserteur et amnistié, Mussolini rentre en Italie pour y faire son service militaire. Libéré en 1906 et pourvu d'un diplôme de professeur de français, il va poursuivre pendant quelques années un double cursus : celui d'enseignant, perpétuellement en quête d'un poste incertain et mal payé, et celui de journaliste et de responsable politique dans un parti socialiste alors en pleine ascension. En 1909, il occupe à Trente le poste de secrétaire de la Chambre du travail : charge qu'il remplit avec une pugnacité qui lui vaudra d'être expulsé de cette ville (encore autrichienne à cette date).
À Forlì, où il s'est installé à son retour du Trentin, et où il vit en ménage avec la jeune Rachele Guidi, la fille de la concubine de son père (Rosa est morte en 1905), Mussolini se voit offrir, au début de 1910, la charge de secrétaire de la section socialiste locale en même temps que la direction de son hebdomadaire, La Lotta di classe. Il va devenir ainsi, en peu de temps, le chef de file du socialisme romagnol et l'un des représentants les plus actifs de la minorité intransigeante du P.S.I. À cette date, Mussolini est très proche des thèses du syndicalisme révolutionnaire. De la lecture de Nietzsche, il a retiré la légitimation d'un activisme auquel les épigones de Marx lui paraissent avoir renoncé. Celle de Georges Sorel, dont l'influence en Italie est considérable, l'a confirmé dans son mépris de la démocratie parlementaire et du socialisme timoré professé par les caciques du parti. Les leçons de Vilfredo Pareto à Lausanne l'ont converti à l'idée d'un perpétuel renouvellement des élites. Cela alors que commence à s'opérer un rapprochement entre une partie des syndicalistes révolutionnaires et un certain nombre d'écrivains et de jeunes intellectuels rassemblés autour de Giuseppe Prezzolini et de la revue florentine La Voce.
La guerre de Libye, qui éclate en 1911, va offrir à Mussolini l'occasion d'écarter les dirigeants réformistes du parti en prenant la tête du courant révolutionnaire hostile à la politique impérialiste du gouvernement Giolitti et au soutien qu'apporte à celui-ci l'aile modérée du P.S.I. À Forlì, il déclenche, avec l'aide du jeune républicain Pietro Nenni, une série de manifestations contre le départ des troupes pour l'Afrique : ce qui lui vaut un séjour de quelques mois en prison mais lui confère auprès des militants socialistes un prestige dont il ne tarde pas à tirer profit. Lors du congrès de Reggio Emilia, en juillet 1912, Mussolini obtient en effet de la nouvelle majorité révolutionnaire l'exclusion des leaders réformistes (Ivanoe Bonomi, Leonida Bissolati...) et devient l'un des principaux dirigeants du parti. Il se voit confier peu de temps après la direction de l'Avanti !, le grand quotidien socialiste d'audience nationale, auquel il imprime, avec l'aide d'Angelica Balabanoff, une ligne révolutionnaire, et dont il fait passer le tirage de 20 000 à près de 100 000 exemplaires.
Au moment où retentissent les coups de pistolet de Sarajevo, prélude au déclenchement du premier conflit mondial, Mussolini fait clairement figure de chef de file de l'aile révolutionnaire du P.S.I. En juin 1914, il s'est personnellement impliqué dans la vague insurrectionnelle qui a déferlé sur l'Émilie et la Romagne (la « semaine rouge »), dénonçant le peu de combativité manifesté à cette occasion par la C.G.L. (Confederazione generale del lavoro) et par les réformistes. Dans le débat qui oppose partisans et adversaires de l'entrée en guerre de l'Italie, il se montre d'abord neutraliste, comme l'immense majorité de ses collègues socialistes, et il s'en prend avec virulence aux interventionnistes de gauche. Sa conversion ne s'opère qu'en octobre 1914 : le 18, il publie en effet dans l'Avanti ! un article dans lequel il déclare que les socialistes ne peuvent être les « spectateurs inertes » de la guerre. Il est aussitôt écarté de la direction du journal. Le 15 novembre, grâce à l'appui financier de Filippo Naldi, directeur du Resto del Carlino et porte-parole de milieux d'affaires favorables à l'intervention, de l'ambassade de France à Rome et de certains socialistes français, il fait paraître un nouveau journal, Il Popolo d'Italia, qui va mener une campagne extrêmement active en faveur de l'entrée en guerre de l'Italie.
Le virage à 180 degrés opéré par Mussolini à l'automne de 1914 a donné lieu à de vives polémiques. Parmi les explications avancées, la thèse d'un Mussolini aux abois, « acheté » par les représentants du « grand capital », ne tient guère la route. Pas plus que celle de l'ambition effrénée de l'ancien instituteur romagnol. Quel avantage celui-ci pouvait-il escompter de la rupture avec un parti dont il était l'un des principaux leaders ? Plus déterminante a été, semble-t-il, la culture politique acquise dès le plus jeune âge et qui marie nation et révolution. Individualiste forcené, activiste mal à l'aise dans les habits d'un apparatchik docile, agitateur romantique plus que marxiste convaincu, acquis depuis toujours aux idéaux du socialisme romagnol, Mussolini n'a pu supporter de devenir un spectateur passif, prisonnier de la ligne adoptée par le parti, à l'heure où allait se jouer le sort de l'Europe en même temps que celui de la révolution.
Mobilisé avec sa classe en août 1915 dans un régiment de bersagliers, le caporal Mussolini combat sur l'Isonzo avant d'être grièvement blessé en février 1917 au cours d'un exercice de tir. Ni héros ni embusqué, mais soldat ordinaire ayant accompli son devoir, il est réformé, ce qui lui permet de reprendre à Milan la direction du Popolo d'Italia et de mener une campagne acharnée contre les « défaitistes » : socialistes et libéraux giolittiens. Lorsque la guerre se termine, en novembre 1918, Mussolini fait figure d'homme seul, à la recherche d'un courant qui puisse le porter. Idéologiquement, il se situe toujours à l'extrême gauche, dans le champ d'attraction d'un syndicalisme révolutionnaire de sensibilité sorélienne qui tend à substituer le mythe de la nation à celui de la lutte des classes comme moteur de la révolution. Surtout, l'ancien dirigeant socialiste cultive une haine tenace à l'égard de ceux qui l'ont banni et brûle de jouer à nouveau un rôle à sa mesure. Les fasci italiani di combattimento (faisceaux italiens de combat), qui se constituent autour de lui au printemps 1919, lui paraissent de nature à concilier l'esprit révolutionnaire et la ferveur patriotique qui animent nombre de jeunes anciens combattants, tout en offrant un tremplin à ses ambitions.
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Écrit par
- Pierre MILZA : professeur émérite à l'Institut d'études politiques de Paris
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