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CHÉREAU PATRICE (1944-2013)

Patrice Chéreau - crédits : P. Victor/ ArtComArt/ Théâtre de la Ville

Patrice Chéreau

Artiste précoce, Patrice Chéreau s'impose rapidement en Europe comme un des plus grands metteurs en scène de théâtre de son temps par la puissance et l'originalité de ses points de vue critiques, par la force de son univers plastique (sur lequel vient se greffer très tôt celui du scénographe Richard Peduzzi) et par la radicalité de sa direction d'acteurs : le lyrisme de son écriture scénique exalte la présence charnelle, concrète des corps. À partir de 1963, au théâtre comme à l'opéra, il développe à travers un répertoire éclectique mais cohérent une vision aussi personnelle que le serait celle d'un écrivain, d'un peintre, ou d'un essayiste. Il s'éloigne ensuite de la scène pour se consacrer pleinement à son œuvre cinématographique, dont la force et la singularité se font peu à peu reconnaître.

Une théâtralité critique

Né à Lézigné (Maine-et-Loire) d'un père peintre et d'une mère dessinatrice, Patrice Chéreau acquiert très jeune une vaste culture artistique et théâtrale. À dix-neuf ans, il met en scène L'Intervention de Victor Hugo au lycée Louis-le-Grand : de cet acte tirant vers le mélodrame populaire, il fait un spectacle grinçant dans un style presque expressionniste (à l'époque, il conçoit lui-même ses décors et fait des croquis de mise en scène) ; il y exprime, déjà, son goût de la théâtralité et sa fascination lucide pour les rapports de pouvoir et de séduction, vus ici sous l'angle de la lutte des classes. Fuentovejuna de Lope de Vega (1965) confirme cet intérêt pour un matériau politique : Chéreau y raconte l'échec d'une révolte paysanne dans un style épique influencé par Brecht, Strehler et surtout Planchon – objets réalistes, éclairages blancs, picturalisme affirmé des scènes de groupes. Avec L'Affaire de la rue de Lourcine de Labiche (1966), dont il réécrit la fin pour noircir le propos, la charge antibourgeoise trouve son expression poétique dans l'intensité d'un jeu grotesque (acteurs maquillés à outrance, gestuelle formalisée) qui impose indissociablement un style et un sens.

On lui propose alors la direction du théâtre de Sartrouville en banlieue parisienne. Il y crée Les Soldats de Lenz (1967) : dans le décor d'une salle de château délabrée, peinte par lui-même d'architectures classiques en trompe l'œil, il montre un monde aristocratique décadent – des officiers auxquels ne reste plus que le plaisir de jeux sadiques dont Marion, une jeune bourgeoise en quête d'émancipation, est l'enjeu. En montrant la défaite de sa révolte amoureuse, Chéreau inaugure une longue série de portraits de personnages brisés dans l'enfance par l'inefficience de leur individualisme ou de leur idéalisme : Dom Juan, Richard II, Toller, les « enfants » de La Dispute, Lulu même, Peer Gynt, Hamlet – autant de figures du refus romantique ou hédoniste du monde réel, de la nostalgie de l'innocence que Chéreau n'absout jamais de leur part de narcissisme ou de fuite.

À Sartrouville, il invite Mnouchkine, Vitez, et s'engage dans un travail acharné d'animation. Mai-68 l'amène pourtant, comme ses pairs, à remettre en question l'action culturelle menée au nom du « théâtre populaire ». Autocritique bientôt radicale, exprimée ironiquement dans Le Prix de la révolte au marché noir de Dimitri Dimitriadis (1968) puis plus gravement dans Dom Juan de Molière (1969) : pour Chéreau, le libertinage du grand seigneur est porteur à la fois d'une authentique subversion et d'une tragique impuissance politique ; le principal élément de la scénographie, la « machine à broyer les libertins » mue par le peuple, dit l'échec de cette aventure individuelle – échec analogue à celui de l'artiste ou de l'intellectuel « engagé ».

<it>L'Or du Rhin</it> de Richard Wagner, mise en scène de Patrice Chéreau - crédits : Bayreuther Festspiele GmbH/ D.R.

L'Or du Rhin de Richard Wagner, mise en scène de Patrice Chéreau

En 1969,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'Institut d'études théâtrales de l'université de Paris-III, conseillère artistique au Théâtre national de Strasbourg

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