GIELEN MICHAEL (1927-2019)
Article modifié le
Profondément engagé dans la vie musicale de son temps, le chef d'orchestre et compositeur Michael Gielen fut l'un des artistes les plus complets de sa génération.
Michael Andreas Gielen, Autrichien d'origine allemande, naît le 20 juillet 1927 à Dresde ; son père est le scénographe Josef Gielen ; il est le neveu du pianiste et compositeur Eduard Steuermann, élève de Ferruccio Busoni et disciple d'Arnold Schönberg. Fuyant les persécutions nazies, la famille Gielen, d'origine juive polonaise, s'établit en 1940 à Buenos Aires, où Michael étudie en privé, de 1942 à 1947, avec Erwin Leuchter (composition) et Rita Kurzmann-Leuchter (piano). Il est chef d'orchestre assistant et pianiste accompagnateur au Teatro Colón de Buenos Aires (1947-1950), où il travaille au côté des plus grands chefs, au premier rang desquels Wilhelm Furtwängler et Karl Böhm. De cette formation exceptionnelle, il retire un enseignement précieux et des contacts qui facilitent son retour en Europe.
Répétiteur de 1950 à 1958 à la Staatsoper de Vienne, où il est chef d'orchestre de 1954 à 1960, Gielen, qui s'attache à promouvoir les compositeurs de son temps, n'en oublie pas pour autant qu'un grand chef doit se nourrir de tous les styles et éviter de se spécialiser trop rapidement. Prônant le respect absolu de la partition, il se soumet totalement à la volonté du compositeur, une position qui n'est nullement dévalorisante, car il est plus facile de se laisser aller à une libre interprétation que d'essayer d'aller au plus profond de l'œuvre.
Gielen profite de son séjour à Vienne pour étudier en privé l'analyse musicale avec Josef Polnauer (1950-1953). Ne pouvant mener de front trois carrières différentes, il renonce définitivement à celle de pianiste sans abandonner ses ambitions de compositeur. Il avoue, avec ironie et humilité : « Je suis un chef d'orchestre qui compose et non pas, comme mon voisin et ami Pierre Boulez, un compositeur qui dirige. » Défenseur acharné de la musique du xxe siècle et de la création, il a lui-même signé plusieurs partitions, toujours longuement élaborées. Ses premières œuvres sont fortement influencées par la seconde école de Vienne. Ainsi, les Vier Gedichte von Stefan George, pour chœur mixte et dix-neuf instruments (1955-1958), se réclament du sérialisme et rappellent à la fois Webern, par leur harmonie, et les Vier Lieder, opus 22, de Schönberg, par leur orchestration. Les Variationen, pour quarante instruments (1959), qui prennent pour thème une série atonale, sont très proches de Schönberg par l'esprit et le style : la structure de ces variations ainsi que leurs couleurs orchestrales affirment sans ambiguïté leur filiation viennoise (on retrouve dans la conclusion de cette partition le thème qui en fait l'introduction). Gielen achève en 1963 Ein Tag tritt hervor, une cantate sur un poème de Pablo Neruda, pour voix de soprano, alto, ténor, basse et récitant, très ambitieuse sur le plan de la structure et de l'orchestration : il mêle aux voix un important dispositif orchestral qui comprend notamment des cordes, des percussions, des ondes Martenot, un vibraphone, un marimba, toute la famille des clarinettes, un harmonium, un piano, une guitare électrique, une harpe...
Mais, si le sérialisme est toujours d'actualité, il n'est pas la seule force qui domine la musique des années 1960. Comme beaucoup de compositeurs de sa génération, Gielen décide alors de s'écarter de la rigueur de ce principe de composition et de s'intéresser aux potentialités de l'électronique, qu'il adopte dans Die Glocken sind auf falscher Spur (1969), ensemble de mélodrames et d'interludes sur des poèmes de Hans Arp. Einige Schwierigkeiten bei der Überwindung der Angst, pour orchestre (1976), est fondé sur un montage parlé de Über den Bergen, extrait du Minima Moralia de Theodor W. Adorno ; pour Gielen, il s'agit « d'une musique sur la musique », dont le rythme passe sans cesse de la valse à la marche, hommage ironique à deux formes emblématiques de l'Empire austro-hongrois. Pflicht und Neigung, pour petit orchestre et bande magnétique, est créé en 1989. Se consacrant essentiellement à la direction d'orchestre, Michael Gielen compose peu. Citons encore la Sonate pour violoncelle seul « Weitblick » (1991) et Klavierstück in sieben Sätzen, pour piano préparé et bande magnétique (2001).
Gielen est notamment directeur général de la musique à Francfort (1977-1987), premier chef invité de l'Orchestre symphonique de la BBC (1978-1980), chef permanent de l'Orchestre symphonique du Südwestfunk de Baden-Baden (1986-1999), avec lequel il grave notamment une intégrale des symphonies de Mahler qui fait date. En 1995, il fait ses débuts au festival de Salzbourg en dirigeant Lulu d'Alban Berg.
À Darmstadt, à Donaueschingen, à Hambourg, à l'Opéra de Cologne ou à la tête de l'Orchestre symphonique du Südwestfunk de Baden-Baden, Michael Gielen n'a jamais ménagé son soutien à ses pairs, dirigeant d'innombrables créations, souvent aussi retentissantes que périlleuses, au premier rang desquelles celles de Carré de Karlheinz Stockhausen (aux côtés du compositeur, de Mauricio Kagel et d'Andrzej Markowski, 1960), de l'opéra Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann (Opéra de Cologne, 1965) et du Requiem de György Ligeti (1965). À celles-ci s’ajoutent d’autres premières mondiales : Allelujah I de Luciano Berio (1957), Sezioni de Franco Donatoni (1962), Tombeau de Luis de Pablo (1963), Mixtur de Stockhausen (première version, 1965), D'un opéra de voyage de Betsy Jolas (1967), Ramifications de Ligeti (première version, 1969), Canticum graduum de Henryk Mikolaj Górecki (1969), Requiem für einen jungen Dichter de Zimmermann (1969), Namo d’Isang Yun (1971), Klangschatten : mein Saitenspiel d’Helmut Lachenmann (1972), Inner Light 3 de Jonathan Harvey (1976), Troisième Symphonie de Wolfgang Rihm (1979), Ata de Iannis Xenakis (1988), Dramatic scenes from « Orpheus » I de Hans Werner Henze (1982), Sinfonie X de Dieter Schnebel (1992).
Mort le 8 mars 2019 à Innerschwand am Mondsee (Autriche), Michael Gielen a publié ses mémoires, Unbedingt Musik, en 2005. Le souci constant qu’il manifeste d'être au plus près de l'œuvre a fait dire à Zimmermann : « Le chef peut-il s'identifier totalement à l'œuvre ? Pour cette question, l'idéal serait que le chef d'orchestre Gielen cède le pas au compositeur Gielen. » Et si c'était l'expérience de sa propre création qui l'avait conduit au plus près des œuvres de ses contemporains ?
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Voir aussi