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STERLING LIVRE

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Tout au long de ses treize siècles d'existence, la livre sterling représente pour le Royaume-Uni une institution fondamentale, à la fois emblème de la Couronne, pilier de la City, monnaie clé de l'économie mondiale. Le peuple britannique lui conserve un vrai attachement et, bien que son prestige international ait décliné, la livre reste une monnaie nationale importante.

La livre sterling ou, en bref, le sterling (les deux termes sont synonymes pour les Britanniques depuis plus de mille ans), s'est construite par paliers. Elle est le fruit d'éléments complémentaires et n'a perduré que par le soutien de multiples régulations. À partir du xiiie siècle, l'État s'efforce d'instituer un monnayage de qualité pour assurer la bonne fin des transactions courantes et leur règlement. Des mesures intangibles, une définition fixe et durable de l'unité monétaire, des instruments de paiement substituables les uns aux autres garantissent dans le pays et à l'étranger un usage étendu du sterling. Même si le régime monétaire fixe les prix et les rapports d'échange, l'ajustement nécessaire des quantités ne peut être assuré intégralement par des automatismes spontanés. Dès la fin du xviie siècle, cette mission est confiée à la Banque d'Angleterre, qui devient la première véritable banque centrale : elle se donne une règle d'émission du papier-monnaie contraignante et se montre capable, en modulant le taux d'intérêt de ses concours aux autres banques, de contrôler le crédit et le change, et, par là, l'inflation. Enfin, au-delà de la maîtrise de la politique monétaire interne du pays, le rang de la livre dans le monde dépend de la croissance et de la stabilité de l'économie qui la sous-tendent.

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À tous ces points de vue, les réalisations britanniques sont remarquables pendant des siècles, notamment la stabilité de la livre sterling en régime d'étalon or. Mais, à partir de 1925 et du retour au pair métallique d'avant-guerre – erreur majeure –, la livre perd sa stabilité et son prestige international. Durant les décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, elle s'ajuste au gré de politiques économiques plus ou moins contradictoires. À la fin des années 1990, toutefois, la stabilisation de l'inflation autorise l'espoir d'un retour à un ancrage nominal.

Le monnayage ancien

Le monométallisme argent

Au viiie siècle, dans les royaumes saxons des îles Britanniques, circulent des pièces d'argent sceatta, sterra ou steorling, comportant la marque d'une étoile (star). Les ateliers monétaires, placés sous l'autorité royale, taillent 240 de ces pièces dans une livre d'alliage (925 parties d'argent pour 75 de cuivre). La 240e partie d'une livre est le denier, dénommé penny (abrégé d. en Angleterre). Et, comme dans l'Empire carolingien, on compte 1 livre = 12 onces = 240 deniers. Longtemps, ce denier sterling, avec son titre d'argent élevé, seule espèce circulante, symbolise cet ancient and right standard of England, c'est-à-dire un système intangible de mesure des valeurs auquel le peuple et les marchands sont attachés car il limite les pouvoirs de manipulation du roi. Le sterling reste relativement stable entre la fin du xe et le début du xve siècle, passant d'un poids théorique en argent de 24 à 18 grains, selon la base des poids utilisée pour la livre saxonne (comprenant 12 « morceaux » ou scilling, qui donnera shilling), la livre de la Tour, la livre d'origine romaine, amenée par les Normands ou, enfin, à partir de 1527, la livre troy venue des foires de Champagne. À ce moment, la qualité des pièces est dégradée en raison de la diversité des espèces, notamment étrangères, circulant dans le pays et des manipulations de tous ordres sur le poids, le titre, le cours des monnaies auxquelles se livre l'État. Au xvie siècle, le penny d'argent connaît une forte dépréciation (greatdebasement) et tombe à 8 grains au début du règne d'Élisabeth Ire (1558-1603). Pour restaurer la qualité de la circulation, la reine proclame la réforme monétaire et fait frapper une couronne d'argent, valant un quart de livre sterling, et une demi-couronne à partir de 1565.

Bien que l'afflux d'argent en provenance d'Amérique se poursuive au xviie siècle, l'Angleterre ne parvient pas à en capter une quantité suffisante par ses échanges commerciaux pour accompagner la croissance de son activité. C'est ce qui explique notamment l'importance prise par les tentatives des rois Jacques Ier et Charles Ier de s'emparer des stocks détenus par les Espagnols ou transportés par les Génois le long des côtes européennes et sur les routes de l'Orient où l'argent est attiré par sa surévaluation. Le prêt forcé imposé aux négociants italiens de Londres n'est guère plus efficace. En 1666, par une décision audacieuse destinée à encourager le monnayage, le roi abolit le seigneuriage, rendant gratuite la fonte de la vaisselle et des bijoux d'argent à l'Hôtel des monnaies, appelé plus commodément la Monnaie (the Mint). Le chancelier de l'Échiquier prend en charge le coût de cette subvention de la frappe. Comme le prix du monnayage et les coûts deviennent transparents, la disette de métal s'atténue et ce dernier se réoriente vers la Monnaie.

La frappe de l'or

En 1489, Henri VII fait frapper le sovereign(souverain) au cours de 20 shillings (s.) ou une livre (£), la plus célèbre et la plus lourde des pièces d'or. Dans l'usage, cette pièce fait prime par sa qualité et elle est reçue pour une guinée, une unité de valeur supérieure dans les paiements dépourvue de pièce correspondante. Implicitement, les deux unités de compte, livre et guinée, coïncident et valent toutes deux 20 s. Avec la frappe de guinées d'or en 1665, au cours de 21 s. 2 d. puis 23 s., s'instaure un bimétallisme instable au gré de la pénurie relative des deux métaux. C'est l'argent qui en est le plus affecté, car le métal est drainé vers l'Inde et la Chine où il s'échange à 9 unités d'argent contre 1 unité d'or au lieu de 14 à 18 contre 1 à Londres. Dès lors, les spéculateurs et la Compagnie des Indes elle-même ont beau jeu de faire fondre par l'Hôtel des monnaies les pièces d'argent anglaises et de les exporter. En se raréfiant à Londres, l'argent voit sa valeur hausser par rapport à l'or. La guinée d'or, ramenée sous Guillaume III en 1696 à 22 s., tend à supplanter l'argent exporté.

Le remède proposé par Isaac Newton, nommé master of the Mint, en 1699, consiste à dévaluer l'or, mais le cours de la guinée ne baissera pas au-dessous de 21 s. et l'or continuera à supplanter l'argent. La suggestion de réévaluer l'argent, reprise par Adam Smith en 1774, n'aura pas plus d'effet. Dans les dernières années du siècle, l'Angleterre passe de facto à l'étalon or lorsque l'argent cesse d'être accepté par la Monnaie. Sous le mandat de Newton, la livre est stabilisée en 1717. La guinée au poids théorique de 129,4 grains d'or est reçue pour 21 s., ce qui correspond à un prix à la Monnaie de 3 £ 17 s. 10 1/2 d. l'once d'or fin, ou une livre sterling à 113 grains d'or pur. Ce prix devait constituer le pair métallique de la livre pendant deux siècles.

Les émissions de billets

De 1717 à 1797, la livre stabilisée et librement convertible en or accompagne la révolution industrielle et l'essor du commerce international de la nation. Le royaume dispose aussi depuis 1694, avec la Banque d'Angleterre, d'un instrument puissant qui sait concilier les concours à l'État et le soutien de la dette publique, d'une part ; le financement des échanges et le crédit aux marchands, d'autre part. L'escompte des traites et remises, le négoce des acceptations sont bien implantés. En contrepartie de l'escompte, les banques émettent librement des billets et le montant de leurs réserves limite la surémission. Irrigué par d'intenses courants d'échange, le marché monétaire assure la liquidité des titres de créance de tous ordres que la production industrielle et l'activité d'entrepôt commercial international (importation, stockage, réexportation) drainent vers Londres.

Les guerres révolutionnaires conduisent cependant, en 1797, à une panique justifiée par la crainte d'un débarquement des Français et qui se traduit par une ruée sur les banques. Pour enrayer le risque d'un drainage des réserves d'or, la Banque d'Angleterre suspend les paiements, c'est-à-dire les remboursements en or des billets au pair : les billets deviennent de facto inconvertibles en or, ce qui leur donne cours forcé à l'intérieur. Sur les marchés monétaires d'Europe du Nord, le cours des lettres de change fait apparaître une décote de la livre sterling par rapport à son pair métallique, et donc une dépréciation de son cours de change. De l'intense débat que suscite cet événement émerge l'interprétation novatrice d'Henry Thornton, un banquier londonien, qui explique le haut prix du lingot d'or, c'est-à-dire la dépréciation de la livre, par l'excès de crédit intérieur et l'inflation de papier-monnaie inconvertible.

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Écrit par

  • : docteure en sciences économiques, professeure des Universités en sciences économiques
  • : professeur de sciences économiques à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu, directeur du Groupe de recherche en analyse et politique économiques, unité mixte du C.N.R.S. 5113
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Médias

Avoirs étrangers (France, Angleterre, Allemagne) à la veille de la Première Guerre mondiale - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Balances sterling : évolution - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Royaume-Uni : déficits extérieurs (1964-1968) - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Autres références

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    Évangéliste, banquier et économiste, Henry Thornton (1760-1815) entra au Parlement britannique à vingt-deux ans (1782) et y siégea jusqu'à sa mort. Il soutenait le gouvernement tory du second Pitt et s'illustra dans les débats de politique monétaire et financière. C'est pour défendre la décision...

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    Fondée en 1694 par un groupe de marchands londoniens pour prêter 1 200 000 livres au roi Guillaume III en échange de l'octroi du privilège d'émission, la Banque d'Angleterre (Bank of England, BOE) obtint en 1709, avec le renouvellement de sa charte, le monopole de l'exercice en société de la...

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