BLONDEL MAURICE (1861-1949)
Le point de départ de Blondel est le conflit entre l'exigence philosophique et le christianisme traditionnel. Si la loi de la raison est l'autonomie, peut-elle accepter une religion qui prétend s'imposer comme révélée à travers des événements et des institutions historiques, et qui demande la foi et la pratique obéissantes ? Un camarade de Blondel à Normale lui objectait qu'il ne se sentait nullement intéressé par un fait divers survenu il y a 1 900 ans dans une lointaine province de l'Empire romain. Objection stimulante. Car il est vrai que nous ne sommes obligés que par ce qui appartient de quelque façon à notre loi de réalisation spirituelle. La sanction qui viendrait seulement du dehors nous atteindrait comme victimes et non comme coupables. Aucune religion ne peut échapper à cette exigence. Sinon, la foi serait opprimante et donc se trouverait peu à peu éliminée par la culture au nom même de la conscience morale. De son côté, la philosophie n'est rien si elle ne remet tout en question et ne porte son analyse jusqu'aux cimes de la vie religieuse. Si l'enquête rationnelle doit être dépassée par une lumière supérieure, il faut que la raison elle-même justifie du dedans son propre dépassement et en trace les conditions.
Le choc initial
Pour comprendre comment Blondel est devenu le philosophe de l'action et du problème religieux, il convient de suivre la genèse de sa pensée.
Il naît à Dijon d'une famille bourgeoise et chrétienne qui retenait parmi ses traditions le souci d'une solide culture. On voit encore au 32 de la rue Chabot-Charny l'hôtel particulier des Blondel, orné d'une porte gothique, d'un petit cloître et de fenêtres Renaissance. La famille était de juristes et non de philosophes. Ce trait sera à l'origine du choc que ressentit l'étudiant quand, voulant se consacrer à la philosophie, il entra à l'École normale supérieure. Là, il se heurtera à une critique tantôt dissolvante, tantôt favorable aux divers rationalismes qui n'agréaient la religion que dans les limites de la raison. En même temps, il subira l'influence de maîtres éminents comme Boutroux, qui l'initieront à Spinoza, Leibniz, Kant et quelques autres grands penseurs. C'est alors que naîtra dans l'esprit du jeune homme l'idée d'une critique plus radicale et d'une raison intégrale qui dégageraient des négations mêmes la légitimité du problème religieux sous sa forme la plus exigeante.
Dans cette perspective, Maurice Blondel présente, le 7 juin 1893, la thèse de doctorat qui devait le rendre célèbre : L'Action. Essai d'une critique de la vie et d'une science de la pratique. Il en développe les implications méthodologiques dans deux études importantes, la Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique et sur la méthode de la philosophie dans l'étude du problème religieux (parue en 1896) et Histoire et dogme. Les Lacunes philosophiques de l'exégèse moderne (publiée en 1903).
Entre-temps, il avait été nommé à la faculté des lettres de Lille, puis à celle d'Aix-en-Provence où il achèvera sa carrière. Là, il élaborera, au bruit des fontaines, entre 1934 et 1949, ce qu'on appellera sa tétralogie : La Pensée (1934), L'Être et les êtres (1935), L'Action (reprise et augmentée en 1937), L'Esprit chrétien et la philosophie. On ne peut nommer ici les ouvrages mineurs, sauf le très suggestif Itinéraire philosophique (1928), ni les nombreux articles. En outre, Blondel ne cessera d'expliquer et de défendre sa position dans une immense correspondance dont seuls quelques fragments ont été publiés.
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Écrit par
- Jean TROUILLARD : professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris
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