- 1. Septième art et « photoplay »
- 2. Photogénie, drame visuel et pensée (l'avant-garde française)
- 3. Visage et image (autour de l'expressionnisme)
- 4. Puissances du montage (l'école soviétique)
- 5. Cinéma et technique
- 6. Réalisme ontologique et homme imaginaire
- 7. Autonomie de la théorie
- 8. Bibliographie
CINÉMA (Aspects généraux) Les théories du cinéma
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Le cinéma a la particularité d'être né de la technique moderne. Il est même l'un des symptômes et des causes de la modernité. Par leur existence, ses principes – c'est-à-dire la reproduction technique, le collage et le montage, avec les nouveaux rapports d'espace-temps, de discontinuité et d'hétérogénéité qu'ils impliquent – ont bouleversé les modes de représentation dans les arts figuratifs et dans la littérature. À ses commencements, le cinéma va donc participer de la conjonction du moderne et de l'archaïque qui caractérise les arts du début du xxe siècle. Archaïque, car il lui faut tout découvrir et inventer, et moderne à cause de ses appareils, mais aussi des tentatives de recherches qui le lient aux avant-gardes, « théoriciennes » par principe. Pour se former et se rendre légitime, le cinéma a eu besoin de théories.
Le cinéma porte en soi deux rêves contradictoires et complémentaires propres au xixe siècle : la transparence positiviste de la technique et de la science, et l'œuvre d'art totale, la synthèse des arts. Qu'avec lui il s'agisse à la fois d'image de reproduction et d'œuvre d'art, indépendamment même de la fiction et du document, cela ne va jamais de soi. Le cinéma est-il un art ? ou de la reproduction ? ou encore une fabrique de marchandises ? Et, s'il est un art, quelle en est la spécificité et quelle est sa relation de dépendance à la technique ? S'il a une spécificité, en quoi consiste-t-elle ? La photogénie, le gros plan, l'image transfigurée, le montage, ou bien tout cela ensemble ? Et que sont-ils ? Quels sont les rapports de l'art cinématographique avec le monde filmé et avec la pensée ? Peut-être le cinéma crée-t-il, enfin, la synthèse tant souhaitée entre la pensée et l'être. Où est le grain du réel ? Car ce qu'on ne cessera pas d'interroger chez lui comme « effet de réalité » n'est pas simple. On dit que le cinéma est enfin la révélation du monde. D'autres soutiennent, en même temps, que c'est une perception hallucinatoire du spectateur devant le miroir-écran, et qu'il projette dans les salles obscures sa substance cachée et le ciel de ses rêves, et que la réalité est un leurre, dont il a fallu inventer le dispositif, entre autres les règles d'accord de regards et de directions à même de conduire le spectateur dans un labyrinthe. On cherchera alors à sortir du labyrinthe et à détruire le miroir. Ce dont, d'ailleurs, la télévision, média froid, se chargera avec force. Dans les films et dans les théories, on le voit, tous les moyens sont remis en question. On s'interrogera pour savoir comment l'image devient signe et comment les signes, ou le champ et le hors-champ, s'articulent pour produire l'énonciation, la connotation, la narration, les formes, le sens. On cherche à préciser quelle est la place de l'auteur, la fonction des genres, l'impact de l'histoire... Les théories du cinéma sont liées, de très près, à l'histoire du cinéma et au mouvement général de la pensée. Leurs développements dépendent de ces deux facteurs. Il y aura bientôt autant de « théories » du cinéma que de combinaisons possibles des sciences humaines.
Septième art et « photoplay »
L'invention du terme de « septième art » (1911), la création de la critique et de la théorie du cinéma et du premier ciné-club pour défendre les films de recherche, la reconnaissance du metteur en scène comme le véritable auteur du film doivent beaucoup à Riccioto Canudo (1879-1923). Les problèmes qu'il évoque seront des constantes du discours sur le cinéma : l'opposition entre l'œuvre d'art et la marchandise ; la différence entre le film et la simple reproduction ; la nature devenue, pour la première fois, « personnage » ; le cinéma conçu comme la synthèse des arts de l'espace et du temps tout en étant un art spécifique ayant pour but la création du drame visuel qui est la transfiguration du monde par l'image, l'apparition des hommes et des choses comme des formes de la lumière. Bien qu'on puisse pressentir dans cette définition ce que seront les tendances purement visuelles de l'avant-garde française, c'est le cinéma américain qui paraît à Canudo – et à presque tous les premiers théoriciens – le cinéma par excellence. Car le cinéma américain, « art d'un peuple nouveau dépourvu de mémoire », n'a que faire, lui, de la synthèse des arts et de drame visuel abstrait : il invente les moyens d'une narration nouvelle.
On a cru que l'indigence de ce cinéma en matière de théorie avait les mêmes causes que son existence : absence de traditions et pragmatisme, un rapport apparemment immédiat à la réalité et au matériau cinématographique. Pourtant, Hugo Münsterberg (1863-1916) publie The Photoplay en 1916, peu après que Naissance d'une nation (1915) confirme l'existence de l'art cinématographique. Le vulgaire croit, selon Münsterberg, que l'art imite la réalité, et le raffiné rejette le film à cause de cette imitation. Il n'en est rien, dit-il. Le film est une mixture de reproduction mécanique et de mécanismes psychiques. Mais ceux-ci sont l'essentiel : le mouvement et la profondeur n'ont pas d'existence sur l'écran, leurs perceptions sont des actes mentaux. S'il anticipe sur la théorie d'Arnheim, Münsterberg ne cherche pas à montrer comment l'angle, l'objectif, le cadre, la lumière, etc., transfigurent la reproduction. Celle-ci est d'emblée appréhendée comme le support d'activités mentales, et le film comme la mise en œuvre, par le moyen du gros plan et de la succession des vues, de notre intériorité et des actes psychiques : attention, mémoire, imagination qui la commandent. Le film, d'après Münsterberg, raconte une histoire à travers la parfaite unité de l'intrigue et de l'apparence visuelle. Dépourvu de visées intellectuelles, réservées au théâtre, il doit atteindre son but – le « climax » émotionnel – sans s'écarter de la vraisemblance et de l'expérience de chacun. C'est bien ce qui, contrairement aux recherches européennes, fera toujours la particularité du cinéma américain.
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- EPSTEIN JEAN (1897-1953)
- CINÉMA TECHNIQUES DU
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- RÉALISME, cinéma
- SOVIÉTIQUE CINÉMA
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- CANUDO RICCIOTO (1879-1923)
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