ELIOT THOMAS STEARNS (1888-1965)
Thomas Stearns Eliot – ou, comme il se désigne lui-même à la familiarité déférente des critiques, T.S.E. – est une des grandes figures, sinon la plus grande, du monde littéraire anglais de la première moitié du xxe siècle. Rénovateur de la poésie, instigateur d'une nouvelle attitude critique, expérimentateur dans un domaine de la création dramatique d'où le génie anglais s'était absenté depuis trois siècles, réconciliant l'intelligence et la sensibilité, profondément classique de culture et de pensée, mais hardi de forme et d'expression jusqu'à confondre la modernité, il incarne en quelque sorte les nostalgies et les ambitions de l'homme civilisé européen imprégné de l'héritage judéo-gréco-latin dont il veut affirmer la survivance au cœur même du monde contemporain. Peut-être est-il un des derniers humanistes au sens classique du terme.
Redevenir anglais
Partis d'East Coker, dans le Somerset, en 1688, les ancêtres puritains de T. S. Eliot s'implantèrent en Nouvelle-Angleterre, puis à Saint Louis, dans le Missouri. Son grand-père y fonda une église unitairienne et une université ; culture et religion, de quoi infléchir une lignée. Le père, cependant, se fit industriel. Sa mère, Charlotte Stearns, originaire de Boston, s'adonna aux œuvres sociales, écrivit des ouvrages de sociologie et composa un poème dramatique sur Savonarole. Voilà pour les antécédents.
Le poète naquit à Saint Louis, le 26 septembre 1888. Il fut bon latiniste à l'école, brillant étudiant à Harvard où il entra en 1906. Gradué, il passa un an à la Sorbonne (1911), lut les poètes symbolistes, fréquenta les cours de Bergson. Après un séjour en Allemagne, on le retrouve à Harvard, philosophant sur le phénoménologue Bradley qui eut sur sa pensée une influence décisive. En 1913, nouveau séjour en Allemagne, d'où le chasse la déclaration de guerre. Il trouve refuge en Angleterre, d'abord à Merton College (Oxford) où il poursuit ses recherches en vue d'une thèse sur Bradley. Puis, sans doute faute de ressources, il se fait maître d'école et trouve peu après un emploi à la Lloyds Bank. Le nomadisme d'un intellectuel américain à la recherche d'un climat spirituel de fixation est terminé. Eliot a retrouvé la patrie de ses ancêtres, il va redevenir anglais.
Déjà, à l'université, il écrivait des poèmes. C'est à Londres qu'il va s'épanouir. Ses poèmes, dès 1917, parurent dans des revues et en plaquettes, mais c'est en 1922 qu'il entre dans les voies royales de la gloire, avec la publication du Waste Land (La Terre vaine). Il va désormais occuper une place éminente dans la poésie, puis dans la critique, et son prestige va croissant. Il participe à l'intense vie littéraire de Londres pendant ces merveilleuses années – anni mirabiles –, rencontre tous les écrivains et les artistes qui contribuent au renouvellement radical des idéaux et des valeurs : Pound, les Woolf, E. M. Forster, Yeats, Joyce, Middleton Murry, D. H. Lawrence, etc., période féconde où la poésie, le roman, la critique ouvrent des voies nouvelles à l'expression et à la pensée.
En 1927, T.S.E. renonce à la nationalité américaine et opère sa « mutation » : il se fait naturaliser anglais, se convertit à l'anglicanisme (mais restera high church, c'est-à-dire anglo-catholique) et prononce sa célèbre déclaration de foi : classique en littérature, royaliste en politique, (anglo-)catholique en religion.
Entre-temps, il est entré chez l'éditeur Faber (1925), dont il deviendra un des directeurs, conciliant ainsi sa profession avec sa vocation. En 1922, il fonde une revue, The Criterion, qu'il dirigera jusqu'à ce qu'elle disparaisse en 1939. D'année en année, il ne cesse d'affermir sa réputation et son influence, par des publications marquantes[...]
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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Médias
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