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FORSTER EDWARD MORGAN (1879-1970)

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Parce que l'œuvre romanesque de E. M. Forster date des premières années du xxe siècle, d'avant la radio, la télévision et l'avion, qu'elle fut en grande partie composée avant même que D. H. Lawrence, son compatriote, ait publié son premier roman, il ne faudrait pas la croire insulaire ou surannée. Bien au contraire, méditée avec lucidité et humour par un moraliste révolutionnaire et discret, œuvre de pionnier, elle possède, sous les dehors retenus d'une facture classique, l'actualité des œuvres intemporelles. Il y a un « cas Forster ». En effet, toute l'œuvre romanesque – six romans et un recueil de nouvelles – date d'avant 1925 ; si, depuis, Forster n'a plus écrit de romans, cela tient à sa conscience aiguë des problèmes que pose le renouvellement du genre romanesque. Mais son œuvre de critique, de moraliste et d'essayiste ne cesse de prôner les mêmes valeurs et d'insister sur les mêmes thèmes. Comment débarrasser la passion de la gangue qui l'entoure ; donner au corps ce qui lui appartient et à l'esprit ce qu'il revendique ; atteindre la maturité sans sombrer dans les compromis ; distinguer la réalité des apparences ; se maintenir dégagé des systèmes, des clans, et libre de tout culte du héros, tel est le propos d'un écrivain qui n'a cessé de poursuivre, à une époque où Kipling était adulé, la tolérance, l'antiviolence, la liberté intérieure. En avance sur son époque, Forster appartient à la nôtre.

Voyages et explorations

Né à Londres en 1879, Edward Morgan Forster devient orphelin de père à l'âge de deux ans. Élevé par des femmes, il commence ses études à Tonbridge School, « enfer en miniature ». Un héritage que lui laisse sa grand-tante Marianne Thornton, dont il écrira la biographie, lui permet de les terminer à Cambridge (King's College) où il fut si heureux qu'il retourna y vivre : c'est là qu'il mourut. On voit quel rôle déterminant les femmes jouèrent à l'orée de sa vie, fait qui n'est sûrement pas étranger à sa vision ambivalente du beau sexe, qu'il érige en matriarcat dans ses romans. À partir de 1901, Forster voyage. En Grèce et en Italie d'abord : ses dons d'observation mêlés d'humour dotent sa vision de l'Italie, symbole de naturel opposé à l'hypocrisie edwardienne, d'un caractère profondément réaliste ; en Égypte, en Inde ensuite, où deux séjours prolongés en 1912 et en 1921 lui permettent d'aborder les problèmes naissants de la juxtaposition de deux mondes, celui des Britanniques, et celui des Indiens. Son œuvre connut aussitôt un succès considérable qui ne s'est jamais démenti, comme en témoigne l'abondance des hommages et des articles saluant ses quatre-vingt-dix ans et les adaptations cinématographiques de ses romans.

À part l'œuvre romanesque, Forster a donné deux livres d'essais : Abinger Harvest (1936) et Two Cheers for Democracy (1951), où sa curiosité s'attaque aux sujets les plus divers, depuis sa haine de l'impérialisme jusqu'à son admiration pour Proust : un volume de critique littéraire, Aspects of the Novel (1927), où il établit la distinction entre les personnages romanesques round et flat (ces derniers étant incapables de surprendre le lecteur) ; deux biographies : Goldsworthy Lowes Dickinson (1934), Marianne Thornton (1956) et des récits de voyage.

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Voyages et explorations sont en fait des aventures de l'esprit d'où Forster tire la matière de son œuvre. Ainsi, deux romans « italiens » ont pour cadre une Italie mythique (mais réelle) contrastant avec une Angleterre rétrécie aux dimensions honnies de Sawston, petite ville mesquine, étouffante, étouffée : Là où les anges ont peur de s'aventurer (Where Angels Fear to Tread, 1905), traduit sous le nom de Monteriano (qui cache celui de San Gimignano) et Avec vue sur l'Arno (A Room with a View, 1908), romans dont l'humour, le sens du tragi-comique, les dialogues et le ton rappellent Jane Austen. L'action de deux romans « anglais » se situe entre Sawston, Cambridge et une campagne anglaise admirablement décrite. Le héros du Plus Long des voyages (The Longest Journey, 1907), Rickie Elliot, constitue une sorte de double de l'auteur, d'où le caractère autobiographique de l'œuvre (éducation sentimentale, auto-analyse) dont le canevas et le ton évoquent Ainsi va toute chair de S. Butler, une des lectures préférées de Forster. Howards End (1910) et Route des Indes (A Passage to India, 1924) furent salués par la critique comme les ouvrages les plus achevés de l'écrivain. Route des Indes, notamment, connut un grand succès par son sujet même : la complexité morale au cœur de la vie d'un voyageur doublé d'un ethnographe, Forster ayant lui-même séjourné en Inde à deux reprises. Six romans donc qui témoignent à la fois d'une aventure intérieure et de dons étonnants de prospection des terres comme des mentalités étrangères. Maurice et le recueil de nouvelles The Life to Come, édités en 1971 et 1972, reflètent l'expérience homosexuelle de l'auteur.

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