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HORVÁTH ÖDÖN VON (1901-1938)

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Comment s'étonner qu'il ne se soit réclamé d'aucune patrie ? Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. Cœur généreux, esprit lucide, parfois jusqu'au cynisme, il a été l'observateur consterné de la montée du nazisme et a vécu en exil à partir de 1934. Trop intelligent pour tomber jamais dans le manichéisme, il a écrit que le ressort principal de son théâtre est le combat éternel entre le conscient et l'inconscient. Homme de gauche, incontestablement, Horváth écrit à une époque où la psychanalyse était condamnée à la fois par l'Église et par le marxisme. Homme libre, il n'en a cure. Catholique de par sa naissance et son éducation, il a pris ses distances avec la religion. Anticapitaliste, il dénonce le discours social-démocrate, mais aussi le langage marxiste quand ce dernier est stéréotypé ou sectaire. L'Allemagne d'après 1918, en proie au « vertige » de l'inflation et au chômage, sert de toile de fond à sa dramaturgie.

Le destin tragique d'un « sans-patrie »

Ödön von Horváth naît en 1901 près de Trieste, sur l'Adriatique. Il est donc citoyen de l'Empire austro-hongrois, qui sera démembré après 1918. Son père est fonctionnaire diplomatique ; à cette situation, Horváth doit une enfance errante : il vit ses premières années à Presbourg (aujourd'hui Bratislava), puis à Vienne, à Venise, à Belgrade, à Munich et à Budapest. Écrivain d'expression allemande, c'est en Allemagne qu'il sera reconnu et joué. Il reste néanmoins un Heimatlos, un sans-patrie. De l'ancien Empire austro-hongrois, qui avait réuni plus de deux cents nations et qui, en dépit de sa très ancienne culture, restait absolutiste, féodal, figé dans un « romantisme de boutiquier » et une « étiquette espagnole », Horváth parle avec une ironie féroce, proche de celle de Nestroy. La patrie de Horváth est utopique : elle se nomme Liberté. L'errance reprendra en 1933, sous la forme de l'exil. Horváth est alors l'un des auteurs les plus célèbres et les plus joués en Allemagne ; l'un des plus opposés, aussi, au totalitarisme national-socialiste. En 1933, les nazis effectuent une perquisition dans la maison que les parents de Horváth possèdent à Murnau. Il fuit, à Salzbourg d'abord, puis à Vienne. Son intention est de revenir en Allemagne, pour y étudier de près cette faune nazie qui lui paraît si bestiale (tierisch) et écrire un livre sur elle. En 1934, il se rend à Budapest dans le dessein d'y faire confirmer sa nationalité hongroise et revient à Berlin. C'est sous-estimer la vigilance des nazis, qui lancent contre lui de nouvelles poursuites : cette fois, c'est l'exil définitif. Il séjourne à Prague, à Vienne, puis en Suisse, ultime refuge. Le 18 mai 1938, Horváth gagne Bruxelles, puis Amsterdam. Lisant les lignes de sa main, une gitane chiromancienne lui prédit qu'un événement décisif l'attend à Paris ; il y arrive le 28 mai 1938 pour y rencontrer Armand Pierhal, traducteur de deux de ses romans, et le cinéaste américain Robert Siodmak, avec lequel il a un projet de film. Le 1er juin, jour de tempête sur Paris, Horváth est blessé par la chute d'un grand marronnier, alors qu'il traverse les bosquets des Champs-Élysées. Les vertèbres cervicales brisées, il meurt pendant son transport au poste de secours. Il a trente-sept ans, et laisse des poèmes, des romans, des ébauches diverses et dix-sept pièces achevées. Vient la guerre et, pour Horváth, une seconde mort : celle de l'oubli.

Depuis les années cinquante, Horváth est l'un des auteurs les plus joués non seulement en Allemagne, mais en Autriche, en Suisse,[...]

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Écrit par

  • : journaliste, critique dramatique de la revue Les Temps modernes

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