Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HERRERA JUAN DE (1530-1597)

Tout pays compte quelques architectes parmi ses héros. Comme Michel-Ange ou Palladio en Italie ou Pierre Lescot en France, Juan de Herrera joue en Espagne le rôle du brillant fondateur de la tradition nationale en architecture. Ce mythe s'est imposé au cours des siècles à partir de faits bien réels : Herrera fut l'architecte principal de Philippe II pendant une trentaine d'années (env. 1567-1590) et c'est lui qui a mené à bien la construction du monument clé du règne : le monastère royal de Saint-Laurent à l' Escorial. C'est lui aussi qui a sinon réalisé du moins surveillé la plupart des projets d'un roi passionné par l'architecture.

Herrera est le premier Espagnol à incarner pleinement une notion clé de la Renaissance : l'« architecte-artiste ». Mais l'idée que nous avons de lui correspond également à une certaine image du classicisme. On désigne ici par classicisme une architecture fondée sur le principe des ordres qui reposent à la fois sur la tradition vitruvienne et sur les traits d'architecture de la Renaissance. Depuis que le père José de Sigüenza a fait dans les dernières années du xvie siècle l'éloge de Philippe II et de l'architecture de l'Escorial, Herrera est associé à un style idéal : un classicisme parfait, et même un ordre divin, qui symbolisait l'autorité et le pouvoir de son roi. Les générations suivantes, considérant le règne de Philippe II comme un âge d'or, virent dans les édifices de Herrera, en particulier l'Escorial, le symbole d'une gloire à jamais perdue. Mais, quand la politique de Philippe II fut condamnée, ce classicisme puissant et idéologique fut condamné avec elle. À la fin du xixe siècle, l'historien allemand Karl Justi voyait dans le style de l'Escorial les résultats d'une autorité étouffante. L'idée de voir en Herrera l'architecte d'un classicisme rigide qui suivait de trop près les règles de Vitruve et de Vignole persiste même chez les historiens favorables à cette architecture. Le fameux estilo desornamentado, le style dénudé d'Herrera, reste lié à l'image d'un classicisme froid et impersonnel.

Le jugement que les critiques portent actuellement sur Herrera semble sinon faux, du moins limité. Il est vrai que Herrera croyait à l'existence de règles qui, valables une fois pour toutes, pouvaient servir à la création d'une architecture parfaite. Mais la façon dont il a interprété ce classicisme n'a rien à voir avec l'architecture créée à la même époque en Italie ou en France. Comme tous les architectes de la Renaissance, Herrera se trouvait devant un ensemble de règles qu'il fallait interpréter et, contrairement à l'opinion généralement admise, son style repose sur un système de variations très personnel. Au lieu d'être un reflet de la pratique italienne, le style d'Herrera, comme celui de Lescot au Louvre, témoigne de l'évolution incessante du système classique.

Un hidalgo devient architecte

Rien de plus invraisemblable que de voir un membre de la petite noblesse espagnole du xvie siècle devenir architecte. L'architecture en effet n'était pas une profession libérale, son domaine était le chantier où régnaient les sculpteurs et les maçons. Or Herrera n'avait rien en commun avec ce milieu artisanal. Fils de la branche cadette du seigneur de Maliano, il était né dans le nord de l'Espagne, près de Santander. Sans ressources dans son pays, il fut envoyé à la cour du prince Philippe et l'accompagna en 1549 dans son long voyage à travers ses futurs États, voyage qui de Barcelone à Gênes, Mantoue et Augsbourg le conduira jusqu'à Bruxelles. À son retour, en 1551, il est sans emploi et entre dans l'armée. Pendant cinq ans, Herrera fait la guerre en Italie du Nord et en Flandres, car il ne fait[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

L'Escorial, 2 - crédits :  Bridgeman Images

L'Escorial, 2

L'Alcázar de Tolède - crédits : Angel Sotomayor Rodríguez/ Flickr ; CC-BY

L'Alcázar de Tolède

Basilique de Nuestra Señora del Pilar, Saragosse - crédits :  Bridgeman Images

Basilique de Nuestra Señora del Pilar, Saragosse

Autres références

  • ANDALOUSIE

    • Écrit par , et
    • 10 384 mots
    • 17 médias
    ...dépouillé. On arrive à la perfection classique avec le bâtiment de la Casa de Contratación, chambre de commerce chargée de la direction du commerce colonial. Philippe II en demanda les plans à Juan de Herrera. Renonçant aux belles salles à colonnes des loges marchandes levantines, l'architecte de l'Escorial...
  • CASTILLE

    • Écrit par , et
    • 10 291 mots
    • 13 médias
    ...en Italie les constructions des vice-rois de Naples, le plan quadrillé de l'ensemble. Mais sa mort prématurée, en 1567, laissa la direction de l'œuvre à Juan de Herrera, qui lui imprima la marque de son génie. La masse de granit rude et sévère s'inscrit dans le contexte européen du classicisme, mais elle...
  • ESPAGNE (Arts et culture) - L'art espagnol

    • Écrit par
    • 5 039 mots
    • 11 médias
    ...symboliques établissant une union étroite entre la vie et la mort s'expriment par un purisme qui fit son chemin à travers la dernière phase du maniérisme. Juan de Herrera maîtrisa cette mutation et poursuivit son action dans ses œuvres ultérieures d'une manière non moins magistrale, principalement à la cathédrale...