TAO YUANMING[T'AO YUAN-MING](365-427)
Si l'on exclut QuYuan qui est très connu mais peu lu, Tao Yuanming est, chronologiquement parlant, le premier grand poète chinois, et peut-être le plus aimé de tous. À première lecture, l'Occidental peut s'étonner de cette admiration ; on est en présence d'environ cent cinquante œuvres – poèmes et morceaux de prose très courts – au style sobre et direct, sans métaphores frappantes ou images recherchées, les mêmes thèmes étant constamment ressassés : descriptions du dur travail paysan, plaidoyer pour la vie de retraite contre l'engagement politique. Mais le lecteur chinois y reconnaît la lutte d'un homme absolument seul, qui essaie (et parfois arrive) à se réconcilier, dans ses vers, avec un monde et une tradition qui semblent au premier abord hostiles. Par ses symboles – le pin solitaire, le chrysanthème qui brave le froid, l'oiseau qui sait se réfugier dans son nid le soir –, il a su dépeindre une existence sans appui religieux ou métaphysique et qui réalise malgré tout un équilibre, ambitions sociales et civiques et dévouement au confucianisme traditionnel trouvant un apaisement dans la simple vie de famille au sein de la nature.
Engagement et personnalité
La première biographie de Tao Yuanming, due à Shen Yue (441-513) dans son Song shu en 493, ne nous renseigne guère que sur ses habitudes de buveur et sur sa façon de recevoir ses hôtes avec une simplicité peu accordée au ritualisme de l'époque. Presque tout ce qu'on sait de sûr à son sujet vient de ses propres œuvres. On n'est même pas d'accord sur son nom personnel : Qian ou Yuanming. Il est né dans une famille de gentilshommes militaires, c'est-à-dire de moindre rang que l'aristocratie de riches et anciens propriétaires fonciers. Son plus célèbre ancêtre, Tao Kan (259-334), était sûrement d'origine très humble et sans doute barbare, et l'un de ces faits suffirait à démentir la généalogie fabuleuse que Tao Yuanming s'était imaginée. Ses origines roturières ont dû peser sur toute sa vie. Pour percer dans la société d'alors, il aurait dû se détourner de la dynastie légitime, prisonnière de la vieille aristocratie, pour accueillir les usurpateurs Song qui renversèrent la dynastie des Jin alors qu'il avait cinquante-cinq ans. Il ne le fit pas et vécut dans le dénuement et l'obscurité, résidant presque constamment dans son village de Chaisang au pied du mont Lu, dans le Jiangxi actuel.
Sa vie politique se résume à quelques titres et à quelques dates : directeur de l'enseignement de sa préfecture en 393, il démissionna bientôt ; conseiller militaire en 399, il a peut-être assisté à la campagne contre le révolté Sun En ; il fut au service de Huan Xuan avant que celui-ci ne réussît son coup d'État contre les Jin ; après le rétablissement de la dynastie en 405, Tao Yuanming devint magistrat (ling) de la petite localité de Pengze. Ce sera son dernier poste : il le quittera en claquant la porte, affirmant ne point supporter d'avoir à plier la taille devant un « petit bonhomme » provincial pour les quelque cinq boisseaux de grain qu'il touchait comme salaire. Invité à prendre un poste vers 418, il refuse. Dans les cent trente poèmes et les quelques écrits en prose qui sont connus, il est si souvent question d'engagement et désengagement politique que ce problème a dû constituer un des aspects les plus importants de son œuvre et de sa vie.
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Écrit par
- Donald HOLZMAN : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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