CABEZÓN ANTONIO DE (1500-1566)
Organiste et compositeur le plus admiré de la péninsule Ibérique pour sa musique polyphonique noble et solennelle, qui unit le style stéréotypé propre aux instruments à clavier du début du xvie siècle et le style international apparu vers 1550. Si l'art de la variation instrumentale pour clavier est né en Espagne, on le doit à Cabezón. Son influence se fit partout sentir dans l'Europe d'alors. Aveugle dès sa prime enfance, il étudia l'orgue à Palencia et, en 1516, devint organiste et clavicordiste de l'impératrice Isabelle ; en 1548, il entra au service du futur Philippe II. À la cour, il rencontra des musiciens influents tels que Santa María et Narváez. Il suivit la chapelle royale à travers l'Italie, l'Allemagne et la Hollande (1548-1551), puis l'Angleterre et la Hollande (1554-1556), d'où son influence sur les virginalistes anglais et les organistes des Pays-Bas (notamment Sweelinck).
Quarante pièces de Cabezón furent publiées dans le Livre de nouvelle tablature pour clavier, harpe, et luth (Libro de cifra nueva para tecla, arpa y vihuela, Alcalá, 1557) de Luis Venegas de Henestrosa et dans Obras de música para tecla, arpa y vihuela de Antonio de Cabezón (Madrid, 1578), publication posthume due au fils du compositeur, Hernando. Les deux recueils sont imprimés en cifra nueva (tablature nouvelle), notation dans laquelle les notes de chaque octave sont numérotées de 1 à 7 en partant du fa, avec des signes particuliers qui précisent l'octave ; chaque partie est notée sur une seule ligne de la portée. Hernando remarque, entre autres, comment ces œuvres peuvent être jouées par des instruments à cordes : le premier, Cabezón aurait eu l'idée du quatuor à cordes. Ses compositions comprennent : des tientos de 4 à 6 voix (le tiento est une pièce instrumentale, ordinairement destinée au clavier et intermédiaire entre le prélude et le ricercare) ; de courts interludes sur des thèmes de plain-chant (l'organiste alternant avec le chœur dans les Kyrie, par exemple) ; des versets pour les psaumes et les hymnes (Magnificat, Ave maris stella, Veni Creator, Ut queant laxis, Te lucis ante terminum, Dic nobis Maria, Salve Regina) ; des faux-bourdons sur les psaumes, dans les huit tons du plain-chant ; un certain nombre de danses ; enfin quelques pièces vocales (litanie à 5 voix). Il faut insister sur les diferencias composées par ce musicien (Diferencias sobre el canto llano del caballero ; Diferencias sobre las vacas, notamment). Il fut le premier à écrire pour les instruments ces variations et inventions contrapuntiques sur des chansons et motets des principaux compositeurs européens, ainsi que sur des motifs de chansons populaires (chansons glosées Ultimi Mei Suspiri et Ardenti Mei Suspiri de Philippe Verdelot ; motet glosé Ave Maria de Josquin Des Prés), et il porta très haut cet art nouveau. Aussi l'appela-t-on, louange sans doute excessive, « le Bach espagnol du xvie siècle ». Qu'il traite un cantus firmus grégorien (qui peut apparaître en valeurs longues à l'une ou l'autre voix) ou qu'il glose sur quelque chanson, c'est le style de la polymélodie vocale et l'art du contrepoint qui le guident, et qu'il maîtrise parfaitement. Le style de son discours organistique est inspiré de celui du motet polyphonique. On pense encore à la tradition vocale devant la superposition rythmique du binaire au ternaire, la rupture des phrases, l'ornementation des cadences. En revanche, c'est au luth qu'on doit la floraison de notes de passage et ces diminutions dont certaines pimentent l'harmonie de surprenantes rugosités. La forme des pièces de Cabezón est toujours parfaitement équilibrée, les proportions en sont harmonieuses. Il faut replacer ce musicien religieux dans le contexte spirituel de la Contre-Réforme tridentine et dans le cadre politique de la maison d'Autriche[...]
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Écrit par
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
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