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WOLFE TOM (1931-2018)

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Tom Wolfe - crédits : Roger Ressmeyer/ Corbis/ VCG/ Getty Images

Tom Wolfe

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C'est au milieu des années 1960 que Tom Wolfe fait, en costume blanc de gentilhomme sudiste et Borsalino de dandy, une irruption spectaculaire sur la scène littéraire américaine, où il va devenir le porte-drapeau du « nouveau journalisme ». Ses premiers reportages – une course de stock-cars en Caroline du Sud, le milieu de Las Vegas, les « fous de bagnoles » en Californie – portent déjà la griffe qui fera sa notoriété : à travers le croquis d'un personnage pittoresque, il s'agit de faire une radioscopie de la société américaine, et de remplir ainsi la mission qui était traditionnellement celle du roman, à savoir tenir la chronique des mœurs du temps, raconter, pour reprendre le titre-programme d'Anthony Trollope, « comment nous vivons ». Le reportage à la première personne a, de vieille date, ses lettres de noblesse dans la littérature américaine et compte quelques classiques, comme l'enquête de James Agee sur les métayers d'Alabama (Louons maintenant les grands hommes, 1941), les articles de John Hersey sur le retour des GI (Joe Is Home Now, 1944) ou sur Hiroshima (1946), mais on assiste au début des années 1960 à une nouvelle floraison du genre qu'illustrent notamment les journalistes Gay Talese, Jimmy Breslin, Hunter Thomson, des romanciers comme Joan Didion ou Edward Hoagland, des correspondants de guerre au Vietnam comme John Sacks ou Michael Herr. De ce groupe hétéroclite auquel viennent à point nommé prêter main-forte Norman Mailer avec, notamment, ses Armées de la nuit et Truman Capote avec De sang-froid, Tom Wolfe, avec un sens aigu de l'orchestration médiatique, va faire un escadron partant à l'attaque de ce qu'il voit comme la décadence du roman américain.

Né le 2 mars 1930 à Richmond, capitale de la vieille Virginie, où son père était rédacteur en chef de la revue Le Planteur du Sud, Thomas Kennerly Wolfe, qui a fait des études de lettres à Yale avant de devenir reporter pour le Washington Post, puis le New York Herald Tribune, fait partie d'une génération dont la jeunesse rêvait encore d'écrire, dans la lignée de Steinbeck, le « grand roman américain ». Or le roman américain du milieu des années 1960, fasciné par Beckett, Nabokov et Borges, s'enclôt, dit Tom Wolfe, dans la « maison de l'écriture » pour y narrer des « fables » dont le sujet n'est autre que la narration elle-même, invente des « anti-terres » au lieu de faire la chronique de la nôtre. Le « grand roman américain », ce sont les reporters qui vont donc l'écrire : à eux désormais de faire concurrence à l'état civil et aux sciences sociales.

La principale innovation qu'apporta Tom Wolfe dans le journalisme fut de se départir du ton neutre et feutré du reportage « objectif » pour laisser filtrer la voix de ses sujets : ses portraits sont une sorte de partition ventriloque où une voix reconstitue tous les timbres propres aux parlers américains. De plus, le reporter, au-delà de la transcription des paroles, n'hésite pas à rendre aussi le monologue intérieur qui se déroule dans la tête de ses personnages. Les premiers textes de Tom Wolfe furent rassemblés dans deux recueils : The Kandy-Kolored Tangerine-FlakeStreamline Baby (1965) et The Pump House Gang (1968). La même année, Tom Wolfe fait paraître ce qui reste un classique des swinging sixties, The Electric Kool-Aid Acid Test(Acid Test), où il suit, plan par plan, l'odyssée du romancier Ken Kesey et de sa bande — les Merry Pranksters — traversant durant l'été de 1964 le continent américain, de San Francisco à New York, dans un bus « psychédélique », conduit par un ancien combattant beat, le légendaire Neal Cassady. Radical Chic and the Mau-MauingFlakCatchers (1970, Le Gauchisme de Park Avenue) se compose d'un compte rendu satirique de la soirée donnée en avril 1969 chez le chef d'orchestre Leonard Bernstein en témoignage de solidarité avec les Panthères noires, et d'une description drolatique de la stratégie mau-mau à laquelle les Noirs du ghetto ont recours pour jouer leur rôle dans le théâtre qu'est la vie municipale de San Francisco. Cette veine — la satire des milieux de la culture — est à nouveau exploitée dans The Painted Word (1975, Le Mot peint) et From Bauhaus to Our House (1981, Il court, il court le Bauhaus). Dans The Right Stuff (1979, L’Étoffe des héros), Wolfe retrace les débuts de l'aventure spatiale américaine, mais son talent de sociologue du quotidien et d'observateur des petites scènes de la comédie humaine éclate surtout dans ces essais, où il parvient à saisir l'humeur, le microclimat propres à un moment de l'histoire sociale, comme The « Me » Decade and the ThirdAwakening paru dans le New Yorker durant l'été de 1976 et repris la même année dans le recueil Mauve Gloves & Madmen, Clutter & Vines, où il sut mieux que personne cerner l'ambiance particulière des années 1970, leur repli introspectif et narcissique qui tranche tant sur l'effervescence baroque de la décennie précédente. Tom Wolfe n'était donc pas l'homme d'une seule brève saison ; certes il avait été le plus flamboyant chroniqueur des années 1960, mais on pouvait compter sur lui pour continuer à enregistrer avec une acuité sans pareille les signes et symptômes de l'air du temps américain. À preuve un premier roman, The Bonfire of Vanities (1987, Le Bûcher des vanités), impitoyable radiographie des années Reagan. Avec A Man in Full (1998, Un homme, un vrai), Tom Wolfe prend pour thème les tensions raciales et sociales à Atlanta, l’écrivain poursuit son travail d’ethnographe sans complaisance de la société américaine. Avec I am Charlotte Simmons (2004, Moi, Charlotte Simmons), il brosse un très sombre tableau des universités américaines, où « le culte du sexe et du corps a remplacé la vie de l’esprit », tandis que Back to Blood (2013, Bloody Miami) s’interroge sur la cohabitation des différentes communautés en Floride.

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Tom Wolfe meurt à New York le 14 mai 2018.

— Pierre-Yves PÉTILLON

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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Média

Tom Wolfe - crédits : Roger Ressmeyer/ Corbis/ VCG/ Getty Images

Tom Wolfe

Autres références

  • YEAGER CHARLES dit CHUCK (1923-2020)

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    ...l’accès au corps des premiers astronautes, faute d’avoir le bagage technique universitaire. Il appartient pourtant à cette élite d’aviateurs qui ont inspiré Tom Wolfe pour son fameux roman L’Étoffe des héros (The Right Stuff, 1979), porté à l’écran en 1983 par le réalisateur Philip Kaufman et dans lequel...

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