RITSOS YANNIS (1909-1990)
Né à Monemvassia (Grèce), Yannis Ritsos est le cadet d'une famille de propriétaires terriens. Ce « rocher » natal, lourd de souvenirs historiques, et cette famille par la suite ravagée (ruine économique, mort précoce de la mère et du frère aîné, folie du père) ont marqué son adolescence et obsèdent son œuvre. De 1926 à 1940, il fait de fréquents séjours en sanatorium. Ses premiers recueils, Tracteurs (1934) et Pyramides (1935), sont le fruit d'un équilibre fragile entre la foi en l'avenir, fondée sur l'idéal communiste — il est proche depuis 1931 du K.K.E., le Parti communiste de Grèce —, et le désespoir personnel. Epitaphios (1936) exploite la forme de la poésie populaire traditionnelle. De 1936 à 1940, Ritsos va mettre à profit certaines conquêtes du surréalisme : plein accès au domaine du rêve, associations surprenantes, explosion de l'image. Qu'il chante l'amour avec Symphonie de printemps (1938) ou qu'il évoque des souvenirs tendres et amers (Le Chant de ma sœur, 1937 ; Vieille Mazurka au rythme de la pluie, 1942), l'attachement à l'espace grec, détenteur de la mémoire historique, imprègne désormais toute son œuvre. Citons à ce propos deux longs poèmes, Grécité et La Dame des vignes (1945-1947 ; pour ces recueils comme pour ceux qui suivent, on a choisi de donner la période de leur composition), inspirés de la Résistance, où les maquisards se battent côte à côte avec leurs aïeux, dont les héros de la guerre d'Indépendance de 1821.
De 1948 à 1952, Ritsos est déporté pour ses convictions politiques dans les îles Limnos, Macronissos, Ayios Efstratios. L'importante production de cette époque sera en partie recueillie dans Veille, qui comprend aussi des poèmes plus anciens (1941-1953). À cette période appartient aussi une longue « chronique poétique » de la décennie : Les Quartiers du monde (1949-1951). L'élément lyrique est intégré dans un corps poétique rude, le vers devient plus narratif pour raconter les années terribles.
Avec Quatrième Dimension (1956-1975), le poète laisse apparaître tout son univers philosophique, sans négliger les objets et les actes banals, le discours quotidien, tout ce qui est la grâce divine de sa poésie. Inspirés pour la plupart du mythe antique, les ouvrages qui composent ce volume ont la forme du monologue « théâtral ». Les héros se trouvent souvent devant un conflit — comme c'est le cas pour Oreste — ou au seuil de la mort, en train de faire le bilan de leur vie. En s'adressant à un personnage muet, ils se lancent dans un discours plein de digressions et d'anachronismes. En fait, tous ces poèmes sont une méditation sur la mort, le temps, l'histoire. Citons en quelques-uns : La Sonate du clair de lune (1956), Quand vient l'étranger (1958), La Maison morte (1959), Philoctète (1963-1965), Oreste (1962-1966), Hélène (1970).
Pendant la dictature dite « des colonels » (1967-1974), Ritsos est de nouveau conduit dans les îles de déportation Yaros et Léros ou placé en résidence surveillée dans l'île de Samos. Parallèlement aux synthèses de Quatrième Dimension, il écrit plusieurs séries de courts poèmes qui reflètent de façon poignante le cauchemar éveillé de tout un peuple. Retenons quelques titres de cette abondante production : Pierres, répétition, barreaux (1968-1969), paru pour la première fois en France en édition bilingue (1971), Gestes, papiers, Le Mur dans le miroir, Couloir et escalier.
À partir de 1970, la poésie prend la forme de longues synthèses où l'onirique, le surréel interviennent constamment dans le quotidien. Blocs d'images, dialogues-monologues parallèles qui glissent dans le vide sans aucune transition, présence de personnages étranges, déplacement continu dans le temps et dans l'espace : on assiste à la création d'un monde foisonnant. C'est sans doute ce que[...]
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Écrit par
- Chrysa PROKOPAKI : poète, essayiste
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