JANSSENS ABRAHAM (1575/76-1632)
Au début du xviie siècle, Abraham Janssens est un des plus intéressants peintres d'histoire du milieu anversois, ne serait-ce que par sa complexité stylistique qui le place en marge de Rubens. Il est, un moment, son seul vrai rival, comme le rapporte Sandrart, à la jonction du vieux romanisme flamand, du maniérisme tardif et du récent caravagisme plus difficilement accueilli dans les Flandres que dans les Pays-Bas du Nord. Après une première formation, vers 1584-1585, chez Jan Snellinck, peintre d'histoire italianisant dans le goût de Maerten de Vos, on trouve Janssens à Rome dès 1598 (donc bien avant Rubens) où il réside jusqu'en 1601, date de son admission dans la gilde d'Anvers comme franc-maître (en 1601, Janssens a encore peint un tableau en Italie, Diane et Callisto, conservé au musée des Beaux-Arts de Budapest, tout maniériste de conception). Marié en 1602, doyen de la gilde en 1606, il déploie une grande activité à Anvers, vite reconnue puisque son tableau le plus officiel et l'un de ses chefs-d'œuvre, l'Union de l'Escaut et d'Anvers (musée d'Anvers), date de 1610 et avait été exécuté pour la cheminée de la salle des États à l'hôtel de ville d'Anvers.
Spécialisé dans la peinture d'histoire (sujets religieux, allégories et nudités mythologiques), Janssens pratique un style curieux, à la fois dur et froid, d'un éclairage violent et aux formes intensément sculpturales, style d'une indéniable éloquence qui crée une manière parfaitement reconnaissable. On la qualifie souvent, mais non sans abus, de caravagesque : brutalité des éclairages, plasticité des formes ne sauraient pourtant constituer des arguments esthétiquement suffisants. En fait, bien plus qu'à Caravage, c'est à son rival maniérisant, le Cavalier d'Arpin, que le premier Janssens peut faire songer, ne serait-ce que par ses tons aigres, d'une coloration recherchée typiquement maniériste et par sa découpe de formes dures et contorsionnées (par exemple, la Résurrection de Lazare de Janssens, à Munich, signée et datée de 1607). Janssens est également tributaire des outrances luministes et formelles de Tintoret et de Palma le Jeune, mais à Anvers même, il se relie encore à l'académisme, froid et grinçant jusqu'à l'expressionnisme, d'un Ambrosius Francken (mêmes recherches de clair-obscur étrange et irréel tout à l'opposé du luminisme purement plastique et naturaliste de Caravage). Enfin, dans son goût du nu et des effets de contrastes des chairs éclairées, Janssens dépend du maniérisme de Prague ou de Haarlem, qu'il connaît notamment par la gravure (sa Madeleine mourante du musée de Prague, env. 1602, plagie ainsi Vénus et l'Amour gravée d'après Goltzius par J. Saenredam). Le caravagisme de Janssens, tel qu'il perce dans une grande page dramatique comme le Serpent d'airain (vers 1606-1607) du palais Schwarzenberg à Vienne, semble donc être plutôt le fruit d'une convergence indépendante et d'un lent mûrissement que d'une influence directe et immédiate. Ce qui est remarquable en tout cas chez Janssens, c'est la vigueur et la franchise du parti choisi. Face à Venius (Otto van Veen) et à son académisme si correctement timide, le style de Janssens est d'une surprenante brutalité qui anticipe sur Jordaens, rappelle à la fois Honthorst et Snyders et concurrence efficacement le Rubens des années 1605-1615. Des œuvres comme l'Ecce Homo de Varsovie, l'Union de l'Escaut et d'Anvers déjà citée, l'Allégorie de la Paix de 1614 (musée de Wolverhampton) montrent une plénitude plastique, une luminosité généreuse et solide, un bonheur des formes larges et opulentes qui sont généralement l'apanage du Rubens néo-caravagesque de ces années-là, même s'il manque en dernier ressort à Janssens cette[...]
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Écrit par
- Jacques FOUCART : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre
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