QUETELET ADOLPHE (1796-1874)
Le nom de Quetelet est demeuré longtemps associé à sa théorie de « l'homme moyen », que les critiques apparemment sans appel de E. Durkheim et surtout de M. Halbwachs ont discréditée. À partir des années 1960, cependant, grâce à l'influence exercée par P. Lazarsfeld, la place qu'occupe Quetelet dans l'histoire des sciences sociales est mieux reconnue. Il est le premier, en effet, à avoir entrepris la réalisation du programme tracé par Condorcet et Laplace : l'application du calcul des probabilités à l'étude de l'univers social. Il lui revient, également, d'avoir mis au point des procédures qui annoncent certaines des exploitations actuelles du raisonnement quasi expérimental. Il a joué enfin un rôle éminent sur la scène internationale en coordonnant et en standardisant la collecte et le traitement des données statistiques. On comprend qu'un autre Belge, parvenu lui aussi au faîte de la gloire scientifique, l'historien des sciences G. Sarton, ait en 1935 considéré Quetelet, et non Auguste Comte, comme le véritable « fondateur de la sociologie ».
Quetelet mathématicien et statisticien
Lambert-Adolphe-Jacques Quetelet est né à Gand en 1796. Le 1er octobre précédent, les provinces belges, soumises depuis 1713 à l'autorité de l'Autriche, avaient été incorporées à la République française, et elles le resteront jusqu'en 1814. Les années de formation de Quetelet correspondent à cette période d'influence française, et l'on en retrouvera l'écho dans son œuvre. La Belgique est ensuite rattachée au royaume de Hollande (ou des Pays-Bas) jusqu'en 1830 et n'acquiert son indépendance qu'en 1832. Or, les premières publications de Quetelet sur les sciences sociales datent de 1831, sa première œuvre majeure de 1835. La maturation de sa pensée est parallèle aux étapes de l'accession de la Belgique à l'indépendance. De ces longues années, il retire un incontestable cosmopolitisme.
Ayant perdu son père à l'âge de sept ans, Quetelet est contraint de gagner sa vie dès la fin de ses études secondaires, et d'accepter un poste de professeur de mathématiques à Gand. Or, à l'époque, sa vocation le porte vers les arts : peinture, littérature, musique. Cela explique son intérêt ultérieur pour les mesures de la taille et du poids de l'homme, ainsi que de la production littéraire. Sous l'influence de Garnier, professeur de mathématiques à la toute nouvelle université de Gand, il décide de s'orienter vers les mathématiques. À vingt-trois ans, il soutient sa thèse de géométrie analytique (la première soutenue dans cette ville) ; il y expose la découverte d'une courbe nouvelle, la focale. Aussitôt il est appelé à Bruxelles pour occuper la chaire de mathématiques élémentaires à l'Athénée. Quelques mois plus tard, il est élu membre de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Dès son arrivée à Bruxelles, Quetelet imprime à ses activités un rythme accéléré. Enseignant renommé, il fonde et dirige, avec Garnier, de 1825 à 1827, puis seul jusqu'en 1839, la Correspondance mathématique et physique. Il publie de nombreux ouvrages de vulgarisation astronomique et mathématique. Toutefois, son intérêt pour les statistiques proprement dites, qu'il appliquera par la suite à l'étude des phénomènes sociaux, se marque dès 1828 avec la publication des Instructions populaires sur le calcul des probabilités.
C'est cependant le projet de construction d'un observatoire à Bruxelles, auquel il apporte tous ses soins qui est à l'origine du tournant décisif de sa carrière. Envoyé à Paris en 1823 pour s'initier à la pratique des instruments les plus récents ainsi qu'aux calculs astronomiques, il y rencontre les astronomes Arago et Bouvard, et se trouve introduit dans le cercle[...]
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Écrit par
- Bernard-Pierre LÉCUYER : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS
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