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ALTÉRITÉ, philosophie

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Soi et Autrui, identité et différence. D'une part, être conscient de soi, se saisir comme un Je, un sujet, privilège exclusivement humain. D'autre part, autrui, le différent, ce qui m'est étranger, un moi qui n'est pas moi et qui se prétend toutefois mon semblable, mon alter ego, un autre soi en même temps qu'un autre que soi : « Comment peut-on être persan ? » demandait Montesquieu. Quelle que soit la façon dont on le pense, comme un ennemi ou comme l'incarnation d'une humanité partagée, autrui apparaît inséparable de ma propre subjectivité.

« Je est un autre. » Il appartenait à la modernité de méditer cette parole de Rimbaud pour y entendre l'aliénation, la trahison de soi, l'inversion d'une raison technicienne, scientifique et politique déchaînant sa toute-puissance en guerres, révolutions et exterminations, ruinant ainsi à tout jamais la prétention de l'« animal rationale » issu de l'ancien humanismemétaphysique à conserver sa place privilégiée au sein d'un cosmos qu'il maîtriserait. Ce fut ensuite au tour des sciences humaines, de Freud à Lacan, Althusser, Foucault, en s'appuyant souvent sur les travaux de Heidegger puis Derrida, de contester la stabilité et la vérité de la coïncidence de soi qu'aurait mise au jour le cogito cartésien, de déconstruire le « for intérieur ». Il appartenait également à la modernité, en dépassant la métaphysique du Même et de l'Autre, d'élaborer une critique de l'humanisme en substituant à l'idée d'une subjectivité monadique celle d'une défense de l'homme, de l'autre que moi, fût-il, pour Heidegger, l'Être dont l'homme serait le berger, l'alter ego chez Husserl, le pour autrui sartrien, l'un-pour-l'autre lévinassien, le Soi en tant qu'Autre de Paul Ricœur.

L'affirmation du sujet : le « cogito » cartésien

Commençons donc par ce qu'Edmund Husserl nommait « la proto-fondation cartésienne de l'ensemble de la philosophie des temps modernes ». Le cogito cartésien se veut un fondement ultime, résidu d'un doute radical naissant de la remise en cause du savoir : le sujet qui doute fait table rase de toutes les opinions jusqu'ici reçues en sa créance, il exclut de lui tout ce qui n'est pas évident, il se persuade que rien n'a jamais été, afin de parvenir à une certitude première indubitable. Le terme du doute sera atteint lorsqu'on aura découvert « une chose qui soit certaine et véritable ». Or, nonobstant l'hypothèse d'un malin génie trompeur, il n'en reste pas moins vrai que je pense, donc que je suis. Le cogito exprime la conscience de soi-même du sujet pensant. Au sein même du doute, je découvre mon existence et mon essence. À la question : qui suis-je ? la réponse est donc : une chose qui pense, qui doute, un esprit, un entendement, une raison. La seule positivité qui persiste est celle de l'ego cogito et de ses cogitationes.

Or les Meditationes de prima philosophia ou Méditations métaphysiques(1641), dont l'objectif est de déterminer avec certitude l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, ne convoquent les autres ego que pour les faire disparaître sous le coup du doute radical, les « vrais hommes » de la seconde Méditation ne se voyant pas attribuer plus de « visage » que le morceau de cire dont la vérité intrinsèque se trouve dans la seule substance matérielle. Pour pouvoir sortir du solipsisme (solus ipse), il faut postuler l'hypothèse du Dieu vérace. Mais, pour que la reconnaissance de l'altérité de Dieu, de l'idée d'Infini, c'est-à-dire du « tout Autre », pût offrir un accès à l'altérité d'autres ego, encore aurait-il fallu que Descartes permît de penser la situation des autres[...]

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