- 1. L'affirmation du sujet : le « cogito » cartésien
- 2. L'intentionnalité husserlienne : une « reconstruction » de l'autre
- 3. Heidegger et l'être-auprès-de
- 4. Vers une reconnaissance de l'expérience d'autrui : Kant, Scheler
- 5. Sartre et la conscience pour autrui
- 6. Levinas : l'Autre comme visage
- 7. Paul Ricœur : une dialectique du soi et de l'autre
- 8. Bibliographie
ALTÉRITÉ, philosophie
Levinas : l'Autre comme visage
Toutes les tentatives de la « philosophie occidentale » pour penser l'Autre à partir du Moi témoigneraient en fait pour Emmanuel Levinas de l'« insurmontable allergie », de l'horreur qu'inspire l'Autre « qui demeure Autre » (En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, 1949). En réduisant l'« étranger » à un thème ou à un objet, incapable qu'elle est de le laisser être dans sa singularité, cette philosophie se condamne à être une philosophie de l'Être, de l'immanence, du « narcissisme », et Levinas dresse un véritable réquisitoire contre tout modèle théorique d'objectivation d'autrui. L'intentionnalité manque autrui comme tel, parce qu'elle le réduit au rang d'objet ou le subordonne à l'Être, malgré le transfert analogique opéré par Husserl dans la cinquième Méditation. La philosophie de la représentation assoit son emprise sur l'Autre, en affirmant la suprématie du Même : « toute philosophie est une egologie » (ibid.). Elle atteint son paroxysme dans la philosophie de Heidegger, qu'il s'agisse de la précellence de l'Être par rapport à l'étant, de l'ontologie par rapport à la métaphysique ou de la définition de l'ipséité du Dasein comme mortel.
Levinas va renverser les termes de cette réflexion en invoquant une lignée de penseurs non moins illustres qui privilégiaient la tradition de l'Autre, témoin Platon qui place le Bien au-dessus de l'Être, ou encore le moi pensant de Descartes qui entretient une relation avec l'Infini sans que pour autant l'Infini s'épuise dans la pensée qui le pense. Cette pensée qui place l'Autre avant le Même, en quoi consiste précisément la justice, Levinas la baptise « Œuvre », effet de la bonté. L'Œuvre consiste en un mouvement radical du Même vers l'Autre, mouvement si généreux et gratuit qu'il va jusqu'à exiger l'ingratitude de son destinataire. La gratitude en effet, par un mouvement de compensation en retour, nous ramènerait au Même, au lieu que l'orientation vers l'Autre doit être une mise de fonds « en pure perte ». Au « souci de soi », à la persévérance dans son être, Levinas oppose donc le Désir de l'Autre qui ne procède d'aucun besoin, d'aucun manque, dont le nom est « éthique » voire « liturgie », et qui ne saurait se réduire à une synthèse de l'entendement ou à la relation de sujet à objet. Une telle orientation du Moi l'identifie à la moralité. L'éthique est ainsi placée au rang de philosophie première.
Contrairement à Husserl chez lequel c'est l'ego qui donne sens à autrui, chez Levinas « autrui a un sens avant qu'on le lui donne ». Autrui apparaît comme « épiphanie », « visage » qui ne saurait se réduire à l'agencement de traits, sa photographie n'en étant que la caricature dans la mesure où, précisément, elle le réduit au statut d'objet. Ce visage s'impose à moi, il me parle, il m'enjoint, sans que je puisse me dérober à son appel, à ma responsabilité à son égard. Son premier mot est en effet : « Tu ne tueras point ! » L'effet de ce visage est de bouleverser « l'égoïsme même du moi », de désarçonner « l'intentionnalité qui le vise » (Humanisme de l'autre homme, 1972), en quoi consiste sa « visitation » : dès lors, « Autrui n'apparaît pas au nominatif, mais au vocatif » (Difficile Liberté, 1963). En précisant que cette responsabilité est antérieure à toute décision, à tout engagement, de même que mon obéissance est antérieure à toute injonction, Levinas nous laisse entendre la présence de l'altérité au sein même de l'ipséité. Il donne ainsi un sens nouveau à la formule de Rimbaud : « [...]
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Écrit par
- Sylvie COURTINE-DENAMY : docteure en philosophie, écrivain, traductrice
Classification
Médias
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