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AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE

La réflexion sur le concept d'aménagement des langues est récente. Heinz Kloss fut l'un des premiers à en poser les fondements, en 1969, par la distinction restée à ce jour opératoire entre language corpus planning et language status planning. La “planification” du corpus concerne toute intervention sur la forme de la langue (système d'écriture, graphie, lexique, etc.). La “planification” du statut relève, elle, d'un autre niveau, qui est celui du statut donné à une langue, qu'il soit constitutionnel, législatif, réglementaire ou autre. Kloss ajoute à cet endroit que le corpus planning est affaire de spécialistes de la langue, et le statut, des “politiciens et bureaucrates”. Quoi qu'il en soit, plan interne et plan externe sont étroitement liés l'un à l'autre, et plusieurs théoriciens développeront ce que Einar Haugen, l'un des plus prestigieux d'entre eux, se référant à Kloss, nommera une happy distinction. Il convient cependant d'ajouter que la traduction de language planning, expression qui se retrouve couramment dans la littérature américaine, pose en elle-même un problème. Il a souvent été question de “planification linguistique”. Cette désignation n'est pas aberrante — même si elle peut avoir une résonance inquiétante —, si l'on veut bien lui accorder le sens que les théoriciens anglo-saxons ne lui donnent que rarement, d'un plan concerté et fondé, comme pour l'économie, sur des données chiffrées telles que celles dont disposent aujourd'hui les Québécois sous la forme d'indicateurs linguistiques. La désignation qui a cependant prévalu en français est celle d'“aménagement linguistique”. L'un des premiers textes qui l'évoquent est, en 1973, l'article de Jean-Claude Corbeil, alors directeur linguistique de l'Office de la langue française du Québec, “Éléments d'une théorie de l'aménagement linguistique”. L'auteur y mentionne la “constitution d'une nouvelle discipline scientifique pluridisciplinaire : l'aménagement linguistique, dont l'objet serait le développement harmonieux d'une langue au sein d'une culture”. Même si l'article n'approfondit pas véritablement la notion d'aménagement linguistique, il est cependant riche de vues éclairantes : “Nous sommes fermement convaincus que l'évolution de l'humanité provoquera de tels chocs entre les langues qu'il faudra intervenir et assurer leur coexistence et leur développement.” Le terme d'“aménagement linguistique” (qui s'est substitué en France à celui de “dirigisme linguistique”, qui avait cours dans les années 1970) s'est révélé très riche de sens. Fondé sur le concept géographique d'aménagement du territoire qui prolonge l'image occidentale de la langue paysage, il évoque aussi celle de “ménage” (on fait le ménage de la langue) et celle de “ménager” (on s'efforce de préserver la langue en la ménageant). D'autres expressions se rencontrent dans d'autres langues, telles que Sprachkultur, language cultivation, regulation of language, qui sont cependant moins nettes.

Plusieurs théories se sont développées depuis lors autour des questions d'aménagement linguistique, l'approche sociolinguistique étant à l'évidence l'une des plus riches. Dans ce domaine, la démarche de l'école de Rouen, élaborée notamment autour de Jean-Baptiste Marcellesi et Louis Guespin, est originale en ce qu'elle s'efforce de lier les faits linguistiques aux actes politiques. C'est ce que marque le concept de “glottopolitique”, conçu par Louis Guespin comme l'effet du politique sur le linguistique : “Toute mesure qui affecte la répartition sociale de la parole, même si son objectif n'est pas langagier, intéresse la situation glottopolitique.” L'exemple qui suit illustre[...]

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Écrit par

  • : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne

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