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ANGELOPOULOS THEODORE dit THEO (1935-2012)

L'histoire à contretemps

Dans la première période, de La Reconstitution (1970) aux Chasseurs (1977), le travail de la mémoire est envisagé comme une enquête. Le premier de ces films raconte l'histoire du retour, dans son village, d'un homme parti travailler en Allemagne, et s'achève sur un plan montrant la porte derrière laquelle il sera assassiné : le meurtre lui-même constitue le point aveugle du récit. On retrouve le même dispositif dans Jours de 36 (1972) dont la narration, qui décrit une série de cercles autour d'une image manquante (l'intérieur de la cellule d'un prisonnier qui a pris en otage un ministre), n'est elle-même qu'un leurre : la prise du pouvoir par le général Métaxas se joue au-delà des murs de la prison.

Toute reconstitution est donc vouée à l'incomplétude : celle-ci s'inscrit de façon privilégiée dans les cadrages du Voyage des comédiens (1975) où, tandis que le champ reste vide, on entend, venu du hors-champ, l'écho des combats qui vont sceller le destin de la Grèce. Le film met, en effet, en scène les treize années qui s'écoulent entre la dictature de Métaxas et l'arrivée au pouvoir du maréchal Papagos en 1952, la structure narrative du film épousant la temporalité chaotique de la mémoire collective, celle de la troupe, celle du peuple grec : au sein d'un même plan-séquence, le présent soudain s'efface livrant passage au passé ou, plus exactement, à ce « passé-présent » du souvenir, qui ne peut advenir que sur une scène imaginaire.

Les réactions très violentes du nouveau pouvoir « démocratique », lors de la sortie du Voyage des comédiens, constitue l'argument du film suivant, Les Chasseurs (1977), qui met en scène le désir compulsif d'enterrer le passé qu'ont les différentes couches de la bourgeoisie au pouvoir. Au cours d'une partie de chasse, les personnages découvrent dans la neige le corps d'un maquisard assassiné à la fin de la guerre civile. Autour de ce cadavre vieux de trente ans et pourtant encore ensanglanté, les dépositions se transforment en une série de visions hallucinatoires et de symptômes hystériques, où le passé est revécu « au présent ».

L'ultime réflexion d'Angelopoulos sur l'avortement des rêves révolutionnaires trouve place, sur le mode de la fable, dans Alexandre le Grand (1980), qui met en scène la transformation du bandit d'honneur – figure populaire du rebelle – en tyran. Le choix de l'anachronisme est ici essentiel à la réflexion sur l'histoire que propose le film, dont le protagoniste fusionne les traits du héros antique et ceux des diverses figures de rebelles légendaires. En effet, la structure même du récit, qui commence à l'aube du xxe siècle et se termine aux portes d'une Athènes contemporaine, montre que la fin des utopies était inscrite dès leur naissance, non à la fin du siècle mais à son commencement.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de lettres modernes, maître de conférences (études cinématographiques) à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Média

Theo Angelopoulos - crédits : Jerome Prebois/ Kipa/ Sygma/ Getty Images

Theo Angelopoulos