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ANTICLÉRICALISME

Sociologie de l'anticléricalisme

L'anticléricalisme a aussi une sociologie. D'une part, les diverses catégories composant une société ne sont pas également réceptives à ses arguments et, d'autre part, il prend des visages différents selon les milieux. À l'encontre d'une idée aujourd'hui assez répandue, mais qui n'est qu'une généralisation aventureuse, l'anticléricalisme n'appartient en propre à aucune classe ; en particulier, il n'est pas l'apanage des classes dites laborieuses. Celles-ci ne l'ont même embrassé qu'après que d'autres leur eurent donné l'exemple.

Il y eut ainsi un anticléricalisme aristocratique fait tout ensemble de jalousie entre ordres privilégiés, de mépris pour le clerc et de défiance de l'homme d'épée envers l'homme d'étude.

Il y eut ensuite un anticléricalisme bourgeois dont le voltairianisme exprime assez fidèlement l'inspiration et qui a animé le mouvement de sécularisation des sociétés occidentales.

Il existe aussi de longue date un anticléricalisme paysan, entretenu par un sentiment tenace contre les droits ecclésiastiques. On constate par exemple que la déchristianisation est généralement plus précoce et plus avancée sur les anciennes terres des abbayes en raison de la confusion entre clergé et propriétaire. Après la Révolution, les prétentions des clercs à recouvrer les biens du clergé mis en vente ont été, en certaines régions, un agent efficace de l'anticléricalisme. La surveillance du repos dominical, une stricte police des mœurs, l'interdiction des bals ont eu leur part dans le développement de l'anticléricalisme (cf. Paul-Louis Courier et sa Pétition pour les villageois qu'on empêche de danser).

Il y a enfin – et c'est dans les sociétés urbaines et industrielles contemporaines le plus important de tous – un anticléricalisme ouvrier. Ses origines sont antérieures à la révolution industrielle : de tout temps, certaines corporations ont été plus défiantes que d'autres à l'égard de l'Église. La naissance de la grande industrie, la formation du prolétariat, la conjonction surtout entre mouvement ouvrier et socialisme ont suscité un anticléricalisme doctrinal, étayé par un système de pensée qui tient la religion pour une illusion et l'Église pour un obstacle sur la voie de la libération.

Cette sociologie grossière pourrait être précisée par une sociologie plus attentive au détail : la « vigne » est réputée anticléricale et les vignerons ont dans le monde rural une solide tradition d'anticléricalisme. De même les cordonniers, parmi les artisans. Les enseignants aussi ont droit à une mention particulière : l'Université n'a conquis son indépendance qu'en se soustrayant à la tutelle cléricale et, aujourd'hui encore, la défiance des enseignants à l'endroit de l'Église perpétue le souvenir de leur longue lutte pour l'émancipation. L'histoire éclaire ainsi cette sociologie en en expliquant les anomalies. Elle en montre aussi les changements, car la position d'un groupe n'est pas acquise une fois pour toutes : il y a moins d'un siècle, les médecins passaient tous pour des « esprits forts », et médecine était synonyme de matérialisme ; il en va autrement de nos jours. Le cas n'est pas unique.

Dans l'ordre idéologique, l'anticléricalisme n'est pas plus homogène. S'il a ordinairement trouvé depuis la Révolution son milieu d'élection à gauche, et ses alliés dans les écoles et les partis qui militent pour une transformation sociale ou politique, l'anticléricalisme n'est pas rare à droite et à l'extrême droite. Le nationalisme suspecte le caractère international de l'Église ; il refuse d'incliner la raison d'État et l'indépendance nationale devant les impératifs d'une [...]

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Écrit par

  • : président de la Fondation nationale des sciences politiques

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