ANVERS
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Deuxième port du continent européen après Rotterdam, Anvers (en néerlandais, Antwerpen) dresse, dans les polders de l'Escaut, la flèche de la tour (123 m) de sa cathédrale gothique brabançonne. L'activité portuaire a depuis longtemps quitté le centre historique de la métropole pour se déployer vers le nord, le long des bassins, qui s'étendent jusqu'à la frontière néerlandaise sur la rive droite du fleuve et se développent aussi maintenant sur la rive gauche.
Un établissement carolingien établi sur un petit promontoire de quelques mètres de hauteur s'avançant légèrement dans l'Escaut, à hauteur du Steen, fut détruit par les Normands. Reconstruit, il prit de l'extension vers la fin du xe siècle. Aux xiiie et xive siècles, la ville devint une foire commerciale de première importance. Mais rien ne laissait supposer l'essor international du xve siècle et de la première moitié du xvie. Celui-ci est dû surtout à des facteurs exogènes : l'ensablement et le recul de Bruges, centre commercial flamand, au moment où le centre de gravité de l'économie européenne basculait du monde méditerranéen vers la façade atlantique du continent. Des marchands de toute l'Europe affluèrent alors à Anvers, qui leur offrit de généreux privilèges juridiques et des facilités commerciales. De nombreuses activités artisanales accompagnaient cette activité marchande et portuaire, le travail à façon étant aussi effectué en zone rurale, où une main-d'œuvre abondante, à bon marché, garantissait des prix peu élevés. La révolte des Pays-Bas contre Philippe II d'Espagne, où Anvers se rangea du côté des rebelles, l'exil vers les Pays-Bas de nombreux bourgeois protestants et le traité de Münster (1648), qui confirmait la fermeture de l'Escaut aux bâtiments maritimes, consacrèrent le déclin de la ville, laissant l'avantage à Amsterdam. Après ceux de Hans Rückers et de Christophe Plantin, les noms de Pierre Paul Rubens et d'Antoine Van Dyck témoignent toutefois du fait que le rayonnement artistique et intellectuel de la ville au xviese prolonge encore au xviie siècle, malgré l'arrêt du trafic maritime.
La Révolution française et Napoléon, introduisant un nouvel ordre en Europe, rouvrirent l'Escaut. Toutefois, le Blocus continental différa la pleine reprise de l'activité portuaire jusqu'à la période de réunion de la Belgique et des Pays-Bas (1815-1830). À la suite de l'indépendance de la Belgique, la navigation sur l'Escaut fut soumise à un péage au profit des Pays-Bas, mais celui-ci fut payé par l'État belge, jusqu'à son rachat en 1863. Depuis lors, l'activité portuaire, doublée d'une activité industrielle, s'est fortement développée. Anvers a encore subi les épreuves des deux guerres du xxe siècle et de la crise économique mondiale durant l'entre-deux-guerres. Le port a bénéficié du fait d'être libéré intact par les Alliés au début de septembre 1944, de sorte qu'il est devenu la principale porte d'entrée des approvisionnements américains en Europe dès la fin de novembre de la même année. Cela a contribué à un rétablissement rapide de l'économie belge au lendemain de la guerre. L'après-guerre est caractérisée par un développement considérable de nouveaux bassins et de la zone industrialo-portuaire qui, au début des années 2020, couvre 14 100 hectares (plans d’eau compris) et dont les extensions ont atteint la frontière néerlandaise vers le nord, avant de s’étendre sur la rive gauche de l’Escaut. Anvers est le deuxième centre pétrochimique au monde, après Houston.
Histoire de la ville
Les origines
Des établissements humains existent sur la rive concave du méandre de l'Escaut à l'époque gallo-romaine (iie ou iiie siècle) et à l'époque mérovingienne. Le site originel d'Anvers est un petit promontoire fortifié de quelques mètres de hauteur s'avançant d'une trentaine de mètres dans le fleuve, à l'emplacement du Steen, protégeant un appontement (un werf, d'où l'étymologie aan het werf). Un autre site originel était vraisemblablement situé un peu plus au sud, à l'emplacement de l'abbaye Saint-Michel fondée au xiie siècle. Comme tant d'autres, l'établissement fut détruit par les Normands en 837. Il fut rebâti, peut-être par des Frisons, et avait déjà pris de l'importance vers la fin du xe siècle. Terre d'empire depuis 843, faisant face, sur l'autre rive de l'Escaut, au comté de Flandre, vassal de la France, Anvers fut le siège d'un margraviat ou marquisat (comté de frontière), par la suite intégré au duché de Brabant, dont Anvers sera une des quatre villes capitales, avec Bruxelles, Louvain et 'sHertogenbosch.
Au xiiie siècle, la place devint une étape entre l'Allemagne (Cologne) et l'Angleterre (Londres). C'était aussi un port d'exportation vers cette dernière des productions agricoles brabançonnes. Lors des troubles qui agitèrent la Flandre, l'entrepôt de la laine fut provisoirement fixé à Anvers. En 1357, la ville et ses alentours furent temporairement annexés à la Flandre, et Louis de Maele se garda bien de favoriser l'activité commerciale de sa conquête.
L'apogée de la première moitié du xvie siècle
Après la mort de Charles le Téméraire, sous la régence de Maximilien de Habsbourg, Anvers, restée fidèle au prince, reçut en contrepartie de nombreux privilèges juridiques et commerciaux. Les commerçants hanséates quittèrent Bruges ; d'autres se replièrent de Gand vers Anvers qui bénéficia de l'accès plus direct à la mer par l'Escaut occidental, le nouveau bras du fleuve ouvert par les marées de tempête, qui s'étaient produites en Zélande au xve siècle. Anvers reçut aussi l'entrepôt de l'alun des États pontificaux. En outre, la ville pouvait se prévaloir de la présence des Merchant Adventurers anglais, des marchands de haute Allemagne et des Portugais qui choisirent Anvers comme étape pour le poivre et les autres épices de l'Inde, dont l'Europe septentrionale était si friande. La laine écossaise et le drap anglais étaient traités sur place, à Anvers, et exportés en Inde par les Portugais. Ceux-ci échangeaient leurs épices contre le métal de la haute Allemagne. Ce commerce se développa en quelques années, au début du xvie siècle. Le port était alors constitué de sept lieux d'accostage sur l'Escaut, de quatre bassins, et le trafic dans l'intérieur de la ville utilisait les ruisseaux et fossés rattachés au fleuve, les ruien. De nouveaux bassins sont construits au nord de la ville au xvie siècle, dans la nieuwstad, la ville nouvelle incluse dans l'enceinte espagnole. La Maison hanséatique était le plus bel entrepôt de la ville. En cent ans, la population de la ville passa de 10 000 à près de 100 000 habitants, chiffre exceptionnel pour la moitié du xvie siècle. À Anvers naquirent aussi de nouvelles techniques financières et commerciales : les lettres de change au porteur avec assignation et endossables. L'introduction de l'endossement date de 1500. La circulation de ces billets au porteur fut à l'origine du succès de la monnaie de papier bancaire anglaise et écossaise au xviie siècle. De même, l'escompte moderne et l'assurance maritime ont vu le jour à Anvers. L'ouverture du bâtiment de la Bourse en 1531 rend compte du développement de ces techniques financières. Les étrangers représentaient un septième de la population ; ils disposaient de consuls et jurisprudences spécifiques.
Vers 1550, Anvers fut le théâtre de troubles sociaux et de difficultés économiques. Les iconoclastes s'attaquent aux statues des églises en 1566. À partir de 1568, lors de la rébellion des Pays-Bas contre Philippe II, roi d'Espagne, cette ville, comptant beaucoup de calvinistes, de luthériens et de sociétés de discussion, choisit le camp des rebelles et des radicaux contre le Roi Très Catholique. La garnison espagnole met la ville à sac en 1574 et en 1576 (la « Furie espagnole »). En 1585, Anvers, assiégée par Alexandre Farnèse, duc de Parme, capitula. Plusieurs dizaines de milliers de commerçants, d'artisans, d'hommes de science et d'hommes de lettres quittèrent leur ville natale et s'installèrent en Hollande pour nombre d'entre eux. L'Escaut fut fermé et Anvers cessa d'être un port de mer, situation confirmée en 1648 par le traité de Münster. L'essor d'Amsterdam au xviie siècle est largement tributaire de la chute d'Anvers. La population tombe à moins de 40 000 habitants à la fin du xvie siècle.
Le déclin
La ville continua toutefois à produire des objets de luxe et garda un important marché de capitaux. Mais c'est à peine si elle recevait de cinq à dix bâtiments maritimes par an. Cette situation dura jusqu'à la Révolution française et l'occupation de la Belgique par les Français (à partir de 1795). Elle n'a toujours qu'un peu plus de 45 000 habitants en 1800. Napoléon remarqua le parti que l'on pouvait tirer de la position d'Anvers par rapport à la Grande-Bretagne et fit développer l'infrastructure du port, tant militaire que marchande. Une première rectification des quais de l'Escaut fut réalisée entre 1804 et 1810. Mais le blocus continental freina momentanément la pleine reprise de l'activité portuaire, en attendant la période de l'union de la Belgique avec les Pays-Bas septentrionaux. En 1830, la ville compte près de 75 000 habitants.
Lors de la révolution belge contre le royaume uni de Guillaume Ier en 1830, les Hollandais bloquèrent le port et investirent la citadelle, libérée en 1832 seulement par une intervention française sous le commandement du maréchal Gérard. Le passage sur l'Escaut pour les bateaux battant pavillon belge ne fut libéré qu'en 1839, mais le roi Guillaume Ier des Pays-Bas exigea un tonlieu, payé par l'État pour ne pas gêner l'essor de la ville. En 1863, l'État racheta ce péage aux Pays-Bas. À partir de ce moment, la prospérité d'Anvers s'affirma. Mais la ville fut désignée comme « réduit national » en 1859, et était la principale place forte de la Belgique. La destruction des fortifications espagnoles et leur remplacement par une ceinture de boulevards, les leien, durant les années 1860, libéra quelque peu la ville de son carcan, mais le gouvernement entreprit plus à l'extérieur la construction d'une nouvelle ceinture de fortification, dite de Brialmont, ce qui suscita le mécontentement de larges secteurs de la bourgeoisie anversoise, qui y voyait une contrainte à l'expansion portuaire et urbaine. La construction de forts extérieurs, à plus grande distance de la ville, fut décidée en 1859, 1878 et 1892 pour compléter ce dispositif militaire.
La renaissance
À partir de 1874, les quais de l'Escaut furent rectifiés à nouveau et inaugurés en 1885. Pendant cette opération, une bonne partie de l'ancienne ville fut sacrifiée au « progrès ». Le Steen (ce qui signifie un château ou une demeure en pierre ou en brique), utilisé comme prison depuis le xiiie siècle, fut sauvé de justesse de la démolition, mais se retrouva séparé de la ville et restauré dans un style néo-médiéval censé illustrer les splendeurs du passé national. De nouveaux bassins furent creusés au sud et au nord de la ville. Un nouveau quartier fut édifié au sud de la ville après 1882, sur l'emplacement de l'ancienne citadelle espagnole.
En août et septembre 1914, la ville fortifiée et sa couronne de forts avancés furent le bastion de l'armée belge, sous la conduite du roi Albert Ier. La résistance de la place d'Anvers gêna les Allemands pendant l'offensive de la Marne. La ville tomba le 10 octobre 1914, mais le roi et le gros de son armée purent s'enfuir en franchissant l'Escaut et prirent position derrière l'Yser. Dans l'entre-deux-guerres, le port s'agrandit vers le nord.
Grâce à l'action de la Résistance, la ville, avec son port intact, fut reprise par les Alliés le 4 septembre 1944. Le premier convoi pénétra à Anvers à la fin de novembre, après la chute du verrou que les Allemands tenaient sur l'île de Walcheren jusqu'au 8 novembre 1944. Les dockers purent dès lors assurer sans interruption l'approvisionnement des armées alliées en Allemagne, bien que la ville fut une cible privilégiée pour les V 1 (1 500 bombes volantes tombèrent sur la ville) et les V 2 (au cours de l'hiver 1944-1945), qui coûtèrent la vie à 3 740 civils.
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Écrit par
- Guido PEETERS : docteur en droit, licencié en sciences politiques et diplomatiques
- Carl VAN DE VELDE : chercheur au Centre des arts plastiques d'Anvers
- Christian VANDERMOTTEN : docteur en sciences géographiques, professeur émérite à l'Université libre de Bruxelles, membre de la classe des lettres de l'Académie royale de Belgique, président de la Société royale belge de géographie
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