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ORGANIQUE ARCHITECTURE

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« Il a vingt ans de plus que moi. Mais nous sommes devenus amis dans l'instant même, ensorcelés que nous étions par l'espace, tendant nos mains dans l'espace l'un vers l'autre : même chemin, même but, même vie, je crois. Nous nous sommes entendus immédiatement comme des frères [...]. Wright dit que l'architecture du futur sera, pour la première fois dans l'histoire, complètement architecture, espace en lui-même, sans modèles préétablis, sans enjolivements – mouvement pur à trois ou quatre dimensions... »

C'est ce qu'écrivait en 1924 Erich Mendelsohn, hôte de l'atelier-communauté de Taliesin, dans le Wisconsin. L'expressionnisme architectural, dont il avait été le chef de file en Allemagne, épousait ainsi la pensée organique américaine, où il retrouvait sa propre genèse.

Erich Mendelsohn, Tour Einstein, Potsdam - crédits : Erik Bohr/ AKG-images

Erich Mendelsohn, Tour Einstein, Potsdam

Du reste, lorsque Albert Einstein visita la célèbre tour-observatoire de recherches astrophysiques que Mendelsohn lui avait construite à Potsdam, il la contempla longuement, puis exprima son opinion d'un seul mot : « organique ».

Signification historique

Walter Gropius et Le Corbusier - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Walter Gropius et Le Corbusier

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L'architecture dans laquelle l'espace socialement utilisé, dynamique, vécu détermine la configuration des pièces et de l'enveloppe qui les contient mérite la qualification d'organique ; sera dite non organique, au contraire, toute architecture vouée essentiellement à l'élaboration de la boîte de construction, du contenant, et peu soucieuse de faire porter ses efforts créateurs sur les creux, les contenus. La différence entre architectes rationalistes et architectes organiques s'exprime clairement dans le cadre du mouvement moderne ; mais si l'on tient compte des modes de conception et de leurs connotations sociologiques, cette distinction peut être étendue à la totalité de l'évolution historique. Ressortiront ainsi à l'architecture organique, par exemple : les installations paléolithiques aux formes libres et sinueuses ; le Bas-Empire, et spécialement les tracés urbains médiévaux ; la première époque du baroque, et tout particulièrement les œuvres de Francesco Borromini ; le langage de Louis Sullivan, de Frank L. Wright et de leurs écoles ; le mouvement expressionniste ; le Bay Region Style ; le New Empiricism scandinave, en particulier les réalisations d'Alvar Aalto ; l'architecture « sculptée » de Hermann Finsterlin, Friedrick Kiesler et André Bloc. Non organiques, à l'inverse, les réseaux orthogonaux du Néolithique ; les volumes helléniques, jusque dans les versions monumentales et illusionnistes de la Rome antique ; les cités idéales de la Renaissance ; le néo-classicisme sous tous ses aspects et dans toutes ses ramifications ; le mouvement moderne de Le Corbusier et de Walter Gropius en Europe dans l'entre-deux-guerres.

École du Bauhaus, Dessau - crédits : Alan John Ainsworth/ Heritage Images/ Getty Images

École du Bauhaus, Dessau

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L'architecture organique a une signification précise, mais qui supporte mal les catégories schématiques, tant en ce qui concerne les tendances formelles que les artistes. Les figures apparentes induisent souvent en erreur. Voici quelques exemples : les cités grecques du ve siècle avant J.-C. attribuées à Hippodamos (Milet, Olynthe, Priène) offrent une grille d'axes orthogonaux, mais ne relèvent pas pour autant de l'architecture non organique, parce qu'il s'agit d'un système centrifuge, qui part du cœur urbain, de l'agora, et non d'un périmètre prédéterminé, comme cela se produit dans le castrum romain. Les scénographies du Bernin sont souvent tenues pour de l'architecture organique, alors qu'il y a toujours à leur base un plan classique. Le pavillon allemand à l'Exposition internationale de Barcelone en 1929, joyau de Ludwig Mies van der Rohe, est souvent classé parmi les prototypes du rationalisme européen, mais il brise et détruit l'enveloppe de maçonnerie, joue sur les fluidités spatiales internes et sur la continuité entre l'intérieur et l'extérieur, et reflète par conséquent les principes du groupe De Stijl, fortement marqué par l'influence de Wright, en Hollande et en Allemagne. Ou encore : Le Corbusier est sans conteste le chef de file du rationalisme européen ; il ordonne dans un esprit cartésien, et chante l'architecture comme « le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » ; et de fait, ses espaces, bien que fidèles au « plan libre », sont systématiquement bloqués dans des parallélépipèdes ; voici pourtant qu'après la Seconde Guerre mondiale, Le Corbusier s'inflige à lui-même un démenti dont témoigne le cri informel de la chapelle de Ronchamp, modelant les creux, la lumière et l'acoustique sans chercher d'aucune façon à réaliser des stéréométries élémentaires ou « pures ». Il n'est donc pas possible de postuler une séparation tranchée entre organiques et non organiques. Gropius est toujours rationaliste, il conçoit l'architecture sous forme de « boîtes » articulées de façon fonctionnelle, comme dans le Bauhaus de Dessau ; à l'inverse, Wright, des prairie houses du début du xxe siècle à la « montagne de lumière » de la synagogue des environs de Philadelphie, est toujours organique. Mais Aalto, architecte organique dans ses œuvres les plus remarquables, tombe dans le néo-classicisme lorsqu'il dessine le palais Enso-Gutzeit d'Helsinki. Et paradoxalement Mies, durant sa période américaine, jusque dans le Seagram Building de New York, tant admiré, se réfugie dans l'hibernation rationaliste.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'architecture, auteur, président du Comité international des critiques d'architecture

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Erich Mendelsohn, Tour Einstein, Potsdam - crédits : Erik Bohr/ AKG-images

Erich Mendelsohn, Tour Einstein, Potsdam

Walter Gropius et Le Corbusier - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Walter Gropius et Le Corbusier

École du Bauhaus, Dessau - crédits : Alan John Ainsworth/ Heritage Images/ Getty Images

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