RONELL AVITAL (1952- )
Avital Ronell est née le 15 avril 1952 à Prague. Elle fait ses études à l'Institut d'herméneutique de Berlin et soutient son doctorat à l'université Princeton en 1979. Elle prolonge ses études à Paris auprès de Jacques Derrida, dont elle sera l'une des traductrices, et d'Hélène Cixous. Elle est professeur de littérature comparée et de théorie à l'université de Californie à Berkeley puis à l'université de Columbia à New York, où elle co-anime pendant plusieurs années un séminaire avec Jacques Derrida.
À la fois critique littéraire, féministe et philosophe, Avital Ronell est considérée comme l'une des plus notables représentantes de la French Theory. Ses principaux ouvrages publiés en français sont Telephone Book. Technologie, schizophrénie et langue électrique (1989, trad. franç. 2004), Stupidity (2001, trad. franç. 2006), American Philo. La philosophie dans tous ses états (2006), Addict. Fixions et narcotextes (1993, trad. franç. 2009), Test Drive. La passion de l'épreuve (2005, trad. franç. 2009) et Lignes de front (2010). Reprenant à Derrida l'idée selon laquelle le discours philosophique s'efforce de résister à toute contamination d'un « dehors » rétif, elle entend poursuivre le travail de déconstruction qu'il a inauguré en s'intéressant précisément à ce qui est occulté par les discours-maîtres : « Je ne sais pas si Derrida aurait apprécié d'être désigné comme celui qui m'a ouvert toutes les poubelles de la littérature, mais en anglais litter veut dire „déchets“ et moi je travaille sur cette littérature » (American Philo). Les « déchets textuels » dont parle Avital Ronell ne se contentent pas de mettre en évidence la souveraineté fallacieuse des normes à l'œuvre dans la fabrication d'une œuvre littéraire ou philosophique. Ils expriment des états de vie, des inflexions de langues. Ils participent de ce qu'Avital Ronell appelle l'« inconscient rhétorique d'un texte », capable de subvertir ces normes.
Le philosophe et le téléphone
S'inscrivant dans le sillage philosophique de critique et de remise en cause de l'idéologie qui marqua les années 1970 (Foucault, Deleuze, Lyotard), Avital Ronell prend en compte les dispositifs technologiques de son temps. Sa réflexion autour du téléphone et de la communication est ainsi l'occasion pour elle de revenir sur le dispositif philosophique qui envisage l'analyse conceptuelle, à la manière de Heidegger, comme la réponse à un appel. « Qui répond à qui ? » signifie que nous sommes en permanence rattachés à des formes techniques dont nous devenons dépendants.
Dès lors, la forme-sujet d'aujourd'hui doit être intégralement repensée du côté des phénomènes d'addiction que de tels dispositifs techniques engendrent inexorablement. S'employant à déconstruire l'appel à l'authenticité formulé par Heidegger, rappelant les phobies technologiques du philosophe, mais aussi ses impensés à l'occasion notamment de sa lecture d'Hölderlin, Avital Ronell montre comment le sujet tend à se produire dans l'addiction. « Nous sommes tous en puissance soumis à l'addiction », écrit-elle dans American Philo. À partir de là, le sujet est pensé en excès par rapport à lui-même : il ne peut jamais se formuler sous une quelconque identité mais doit se risquer dans ce qui fait intrusion en lui, sous la forme d'un désir d'invasion ou de pénétration. Il semble alors, contrairement à ce que recherchait Heidegger, qu'il n'existe plus de place pour une « demeure de l'être ». Toutes les maisons sont hantées par les intrus qui les envahissent.
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Écrit par
- Guillaume LE BLANC : professeur de philosophie à l'université de Bordeaux-III-Michel-de-Montaigne
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