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BANTOU

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L' appellation « bantous » désigne les locuteurs d'un vaste groupe linguistique qui couvre la plus grande partie de l'Afrique centrale et australe. Il est composé d'environ quatre cent cinquante langues apparentées que M. Guthrie a regroupées en seize zones homogènes. J. Greenberg leur assigne à toutes la même origine lointaine (les confins du Nigeria et du Cameroun) et rattache le groupe bantou à quelques langues parlées sur le golfe de Guinée ; il constitue avec celles-ci la famille Bénoué-Congo, qui fait elle-même partie de l'ensemble Niger-Congo.

Cette unité linguistique permet de croire que les Bantous se sont répandus en un temps relativement court (trois ou quatre millénaires) sur l'espace qu'ils occupent aujourd'hui. Ces agriculteurs furent très rapidement en possession des techniques du fer. L'archéologie atteste, en effet, l'existence d'une civilisation de métallurgistes très ancienne dans toute la zone immédiatement au nord de la forêt, du Nigeria jusqu'à la région des Grands Lacs (Ier millénaire av. J.-C.). Dans les savanes au sud de la forêt, le premier âge du fer apparaît au début de l'ère chrétienne. Rien ne permet naturellement d'attribuer a priori ces vestiges à des peuples parlant une langue bantoue ; cette attribution est simplement probable. Très peu d'éléments archéologiques permettent de dater l'expansion vers l'est et le sud des populations originelles (entre 2000 et 1000 av. J.-C., selon les estimations des linguistes). L'hypothèse la plus probable est que des populations pratiquant l'agriculture sur brûlis se sont répandues dans les zones actuelles d'occupation bantoue, soit en longeant le littoral atlantique, soit en suivant le réseau hydrographique du fleuve Congo qui les amena au sud de la grande forêt. La première phase migratoire est probablement antérieure à la diffusion de la métallurgie.

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La diversité des types physiques est considérable et l'on renoncera à l'idée d’un type bantou. Les travaux de J. Hiernaux semblent confirmer cependant l'hypothèse linguistique sur l'origine du groupe.

Aires culturelles

Femmes herero en costume traditionnel - crédits : Frans Lemmens/ Corbis Unreleased/ Getty Images

Femmes herero en costume traditionnel

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À l'unité linguistique du groupe bantou répond une grande diversité culturelle. Il serait vain de rechercher les traces d'une organisation sociale ou d'un système de pensée unique. Il n'existe pas de « philosophie » bantoue commune. Divers ethnologues se sont préoccupés de regrouper les très nombreuses civilisations bantoues en un certain nombre d'aires géographiques. H. Baumann a cru pouvoir découper l'Afrique en vingt-six cercles culturels, les peuples de langue bantoue relevant de dix d'entre eux. Ces ensembles distincts seraient eux-mêmes le résultat du mélange d'éléments fort divers arbitrairement assignés à l'une ou l'autre civilisation fondamentale, que l'on ne rencontre plus que rarement à l'état pur. C'est ainsi que le monde bantou relèverait notamment des deux composantes de la civilisation agraire ouest-africaine (la civilisation de la forêt au nord, celle du « matriarcat » au sud) ; une civilisation supérieure (d'origine rhodésienne) aurait transmis à un certain nombre de ces peuples la royauté sacrée. L'Est africain, enfin, serait fortement marqué par la civilisation des Chamites éleveurs de bétail. Cette reconstruction purement conjecturale souffre de deux défauts majeurs : elle se fonde sur des assemblages arbitraires de traits cultuels hétérogènes, d'une part ; elle fait correspondre les divers niveaux de civilisation à des « races » particulières, d'autre part.

G. P.  Murdock divise, quant à lui, le monde bantou en seize « provinces culturelles ». Certaines de ces unités ne comportent qu'une seule ethnie ou groupe linguistique présentant une forte individualité. C'est ainsi que les Mongo sont distingués des Bantous équatoriaux, bien qu'ils vivent dans le même habitat (la grande forêt) ; les Luba (qui forment une poche patrilinéaire à l'intérieur de la ceinture matrilinéaire homogène que constituent les Bantous centraux), les Shona, les Thonga, les Nguni, les Sotho formeraient des unités séparées. Les autres populations sont regroupées au sein d'une aire géographique. Ce découpage plus ou moins arbitraire a le mérite de ne pas se fonder sur des conjectures historiques. Mais l'on s'étonnera de certains rapprochements. Chaque peuple possédant sa propre originalité culturelle, à la limite seules les cartes linguistiques sont pertinentes.

Adoptant des critères essentiellement écologiques, J.-J. Maquet, enfin, se borne à quelques regroupements massifs. Il réunit sous l'étiquette « civilisation des clairières des Bantous équatoriaux » les petites communautés humaines repliées sur elles-mêmes qui vivent dans la zone pluvieuse équatoriale et cultivent les ignames, le taro, le bananier – auxquels se sont ajoutés, à partir du xviie siècle, les plantes d'origine américaine (le maïs, le manioc, les arachides, les patates douces). Il oppose à ce premier ensemble la civilisation des greniers des Bantous centraux, plus ouverte aux échanges, car elle occupe l'espace de savane plus ou moins boisée que l'on trouve immédiatement au sud de la grande forêt. Ici, l'agriculture dominante est celle des céréales (millet, éleusine, sorgho) et des légumineuses ; une partie de la récolte est conservée dans des greniers. Le pouvoir politique s'appuie sur le contrôle de ce surplus et l'on voit se développer chefferies et royaumes. Enfin, les Bantous orientaux, souvent pasteurs et guerriers, appartiennent à ce que J.-J. Maquet appelle « la civilisation de la lance ». Le prestige des hommes y repose très souvent sur la possession du bétail et sur les vertus militaires associées à la défense et à l'accroissement du cheptel. Ces caractéristiques s'atténuent chez un certain nombre d'agriculteurs bantous méridionaux, où l'élevage ne joue qu'un rôle secondaire.

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Tous les auteurs s'accordent à reconnaître l'existence d'une civilisation forestière dans la zone équatoriale. Les chasseurs-récolteurs pygmées en sont les plus anciens habitants et les Bantous qui ont taillé des clairières échangent avec eux des produits agricoles contre du gibier. Mais les Bantous eux-mêmes consacrent une part non négligeable de leur temps à la chasse et à la pêche. Les riverains des grandes rivières étaient spécialisés dans cette dernière activité. C'est par échange qu'ils obtenaient des agriculteurs des produits végétaux. Ils pratiquaient parfois le commerce à longue distance au moyen de leurs pirogues. J. Vansina, en 1985, a proposé un modèle historique général pour expliquer le peuplement de l'espace forestier. L'importance d'un important réseau fluvial y favorise la dispersion des groupes bantous. La grande forêt comportait traditionnellement un certain nombre de domaines autonomes gérés par des communautés villageoises groupées autour d'un homme de renom, avec ses parents dans les deux lignes, ses clients, ses dépendants, ses esclaves domestiques.

On voit cependant se développer une idéologie royale chez les Bolia de la Cuvette centrale, où le domaine politique comportait quatre provinces administrées par des chefs héréditaires. On remarquera aussi que l'organisation lignagère patrilinéaire semble avoir dominé un certain nombre de sociétés vivant en bordure de la Cuvette centrale : c'est le cas des Lega du Maniéma, des Tetela-Hamba du nord du Kasaï et des Boa de la région de l'Itimbiri-Ngiri. En revanche, les Ngombe et les Doko sont matrilinéaires et les Onga ont un régime de filiation indifférenciée. La forêt n'impose donc pas un modèle unique d'organisation sociopolitique, en dépit des contraintes qu'elle impose à l'homme. On se demandera, dès lors, si les efforts tentés pour construire des aires culturelles homogènes fondées peu ou prou sur les caractéristiques du milieu ne comportent pas une très grande part d'arbitraire.

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Écrit par

  • : professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles, directeur du Centre d'anthropologie culturelle de l'Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles

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