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TARR BÉLA (1955- )

Un cinéma de l'apocalypse

Béla Tarr lit en 1985 Le Tango de Satan, un roman que l'écrivain László Krasznahorkai, d'un an son aîné, vient de publier. Le jeune cinéaste est fasciné par l'univers baroque de ce « maître de l'apocalypse » (Susan Sontag). Il découvre dans ce roman, qu'il adaptera sur une durée de 7 heures 30, un fonds mythologique, linguistique et métaphysique qui doit permettre à son propre style de trouver une dimension cosmique pour mettre en lumière, au-delà des apparences, l'âme magyare. Il n'existe pas en Hongrie un cinéaste majeur, comme Andreï Tarkovski pour la Russie, capable de sublimer la culture de son pays tout en la légitimant. Ce rôle, Béla Tarr décide de l'assumer avec la fervente complicité de László Krasznahorkai, qui devient le scénariste ou le coscénariste de tous ses films : scénarios originaux (Damnation ; Le Cheval de Turin, 2011), adaptations de ses propres romans (pour Tango de Satan ou Les Harmonies Werckmeister), voire de Georges Simenon (L'Homme de Londres, 2007).

À partir de Damnation, Béla Tarr ne tourne plus qu'en noir et blanc, sort des espaces urbains, stylise le comportement des protagonistes de ses films, utilise souvent les mêmes collaborateurs parmi lesquels le musicien Mihály Vig qui tient le rôle du mauvais mage, Irimiás, dans Le Tango de Satan. Les films de Béla Tarr sont d'un pessimisme sans échappée possible. Contrairement à Tarkovski, Béla Tarr est athée et aucun salut n'éclaire la noirceur de ses œuvres.

Personnages décalés, longs et abondants mouvements de caméras, plans-séquences, stylisation de la photo en noir et blanc, décors, animaux parcourant en meutes des espaces boisés ou habités, pluies battantes, danses des humains sont quelques-unes des figures caractéristiques de son style.

On passe du drame passionnel (Damnation), encore proche de Fassbinder, à l'épure totale où il ne reste plus que deux humains et un animal (Le Cheval de Turin), plongés dans une attente de fin du monde.

Entre le drame intimiste théâtralisé et l'œuvre crépusculaire au-delà de laquelle Béla Tarr, lui-même, se refuse d'aller, se déploie le chef-d'œuvre que demeure Le Tango de Satan, chronique ample et polysémique d'une dépossession.

À la fin du communisme, après la vente de leur coopérative agricole, les habitants sont trompés par Irimiás, un faux prophète, qui les dépouille de leur maigre argent en leur promettant un lieu magique de vie (mensonge des communistes auquel fait écho celui de l'économie de marché, selon le cinéaste). Il les exile dans un faux paradis, encore plus cafardeux que les lieux qu'ils ont quittés. Chez Béla Tarr, le film dépasse de loin la narration de son sujet : le spectateur vit et éprouve l'expérience visuelle et sonore que le cinéaste lui propose sous des formes plastiques d'une richesse en perpétuelle métamorphose.

— Raphaël BASSAN

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Média

Béla Tarr - crédits : Carole Bellaïche/ Getty Images

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