RUSSELL BERTRAND lord (1872-1970)
La longue vie qui fut accordée à Russell, l'alacrité avec laquelle il a supporté celle-ci ont fait de lui un personnage hors série. Toujours en quête de renouvellement, il était, par l'ampleur de sa réflexion et la franchise de son action morale et politique, destiné à faire allégrement l'objet d'âpres et incessantes controverses. Il est l'auteur de plus d'une quarantaine d'ouvrages et de nombreux articles dont certains font date. Cette production pourrait se distribuer en trois catégories d'écrits apparemment distincts par leur objet. La première catégorie concerne la philosophie des mathématiques, la deuxième la philosophie des sciences du point de vue épistémologique, la troisième l'éthique et la politique. On y trouve les préoccupations de l'historien (History of Western Philosophy, 1945). Un souci d'unité gouverne la pensée de l'auteur : la recherche de la vérité dans toutes ses exigences théoriques et pratiques.
Russell a laissé en logique une œuvre dont l'importance est fondamentale pour la pensée scientifique contemporaine. Prolongeant tout en l'altérant l'inspiration logiciste commune à Boole, Schröder, Frege, Couturat, De Morgan et Peano,il s'efforce, comme ces philosophes-mathématiciens, de subordonner les mathématiques à la pure logique. Ce programme, déjà manifeste dans les Principles of Mathematics (1903), se poursuit et se renforce dans les Principia Mathematica (1910-1913) composés en collaboration avec A. N. Whitehead, son maître à Trinity (Cambridge).
Les Principles ont trait aux rapports entre le langage naturel et la structure logique, à la grammaticalité et surtout aux fondements de l'arithmétique. Si, en principe, la mathématique n'est qu'une promotion et une extension de la logique, la preuve en sera administrée exemplairement à propos de l'arithmétique. Elle devra se compléter par une axiomatique de la logique elle-même. Peano avait atteint ce premier objectif dans son Formulario en ne conservant que trois notions non définies dans le système de l'arithmétique (« zéro », « nombre » et « successeur immédiat ») et en postulant cinq propositions primitives non démontrées ; de même, Frege à sa manière en avait cherché la solution en exerçant sa sagacité sur les variables, les classes et la fonction. Il était naturel de penser que cette réduction, en partie récupérable et déjà très satisfaisante, devait s'achever par l'édification d'un système déductif de la logique elle-même. Celle-ci se présenterait comme constituant les principes logiques des mathématiques et ferait progresser de proche en proche les conditions générales de validité de la démonstration. Les Principia Mathematica exécutent méthodiquement ce programme algorithmique. Vaste synthèse exécutée en signes et opérations symboliques propres à la logique formelle, ils rassemblent et coordonnent tout le patrimoine accumulé jusqu'alors. Cet édifice devenu classique comporte trois étages : un calcul des propositions, un calcul des classes et un calcul des relations.
Russell propose une logique mathématique extensionnelle, fonctionnelle et relationnelle, ses repentirs ultérieurs visant à récupérer ce qui avait d'abord été sacrifié délibérément et à élargir le logicisme initial.
Enfin, la logique est pour lui l'instrument par excellence de la position et de la résolution des problèmes philosophiques authentiques, c'est-à-dire celui d'une critique philosophique universelle.
Le moraliste et le militant politique
Né à Rovenscroft, fils cadet de lord et lady Amberley, Bertrand Russell fut très tôt orphelin et, en dépit des dernières volontés exprimées par ses parents agnostiques, placé sous la tutelle austère de sa grand-mère lady John Russell, à Richmond. Préceptorat, université de Cambridge et[...]
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Écrit par
- Philippe DEVAUX : membre de l'Académie royale de Belgique, professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, président du Centre national de recherche de logique
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