BOYCOTTAGE
Article modifié le
Le boycottage désigne, d'une manière générale, l'action qui tend à empêcher une personne ou groupe de personnes, une entreprise ou groupe d'entreprises de conclure, comme fournisseur, client, employeur ou salarié, des contrats relatifs aux produits, aux services ou au travail, afin de paralyser son activité économique. Le mot dérive du nom de Charles Cunningham Boycott, intendant des domaines du comte d'Erne, dans le comté de Mayo, en Irlande de l'Ouest, contre qui la Ligue agraire décida, en 1880, en raison de sa dureté inhumaine envers les petits fermiers, et réussit à faire appliquer des mesures faisant obstacle à l'exploitation dont il avait la charge. On lui préfère quelquefois, en particulier dans le domaine des relations de travail salarié, l'expression « mise à l'index ».
Lorsque le boycottage est décidé à l'encontre d'un État soit par un autre État, soit par une organisation internationale, on parle plus couramment aujourd’hui d’embargo. Le terme boycottage tend ainsi à être plutôt réservé aux initiatives d'effets analogues prises par des entreprises ou des syndicats à l'encontre d'une ou plusieurs personnes ou entreprises, pour des raisons indépendantes de leur nationalité. Si le résultat immédiatement recherché est, dans les deux cas, économique, les mobiles sont plus souvent politiques dans le premier que dans le second, encore que les motivations économiques ne soient pas nécessairement étrangères à celui-là, ni les motivations politiques, ou en tout cas sociales, à celui-ci (comme le montre, précisément, le cas de l'intendant anglais Boycott qui fut l'objet de ce type d'action collective en Irlande). En outre, l'État boycotteur se dissimule souvent derrière des entreprises privées, si bien que la distinction peut être d'application difficile ; elle demeure cependant justifiée, car le boycottage d'État à État relève principalement du droit international public, tandis que celui que les entreprises ou les syndicats décident de leur seule initiative ressortit au domaine du droit des relations économiques ou de travail.
Les pratiques de boycottage ne se limitent pas à ces champs spécifiques que sont le droit international public, le droit commercial et le droit du travail. Introduites par le Mahatma Gandhi dans les années 1920 comme un moyen non violent de lutte anticoloniale, elles sont devenues au cours du xxe siècle un moyen d'action et de pression collective des citoyens-consommateurs de plus en plus fréquent.
Le boycottage entre États ou embargo
C'est surtout depuis le début du xxe siècle, et d'abord par la Chine, que le boycottage a été utilisé en ce domaine (boycottage du commerce américain, en 1905, avec la complicité au moins tacite du gouvernement central, à la suite des mesures législatives restreignant l'immigration chinoise aux États-Unis ; boycottage des marchandises anglaises, de juin 1925 à octobre 1926, provoqué par un incident survenu à Shanghai entre des grévistes chinois et un détachement de policiers commandé par un inspecteur britannique ; boycottages fréquemment répétés des produits japonais, en particulier celui qui, commencé en 1919, en raison de l'attribution par le traité de Versailles du Shandong au Japon, ne prit fin qu'en 1922).
Un moyen de sanction étatique
Plus « individualisée » fut la pratique utilisée par plusieurs puissances alliées (notamment la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis), pendant la Seconde Guerre mondiale, consistant à inscrire sur des « listes noires » les entreprises neutres soupçonnées d'être en relations commerciales avec les États ennemis, et à assimiler juridiquement le commerce avec ces entreprises au commerce avec l'ennemi.
Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs exemples d'embargo international peuvent être donnés. Ainsi, il fut décidé par les États arabes à l'encontre d'Israël ; l'office spécialement chargé de l'appliquer a inscrit sur une « liste noire » des entreprises relevant de divers États qui entretiennent des rapports commerciaux avec Israël, et à qui est refusé, pour ce motif, l'accès aux marchés des États membres de la Ligue arabe. Pendant la guerre d'Algérie, des mesures de boycottage plus ou moins sporadiques furent décidées, sinon toujours effectivement appliquées, par un ou plusieurs États arabes à l'encontre des entreprises françaises ou de certaines d'entre elles (par exemple, prohibition d'importation de voitures Renault au Liban, décidée le 11 avril 1956 et motivée par l'installation d'ateliers d'assemblage de la Régie Renault en Israël). Un embargo unilatéral connu est celui qui fut décrété en juin 1967 par le général de Gaulle concernant l'exportation d'armes françaises vers l'État d'Israël, considéré comme agresseur dans la guerre de Six Jours. Au chapitre des relations interétatiques tendues, on peut aussi citer l'embargo total réitéré sans discontinuer par Washington depuis le 10 octobre 1960 à l'encontre du régime communiste instauré par Fidel Castro à Cuba. Adoptées par le Congrès, les lois Torricelli (Cuban Democracy Act, 22 octobre 1992) et Helms-Burton (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act, 12 mars 1996) qui ont renforcé cet embargo prévoient même des sanctions contre les navires, les entreprises et les personnes non ressortissants des États-Unis.
Une sanction internationale
L'article 16 du pacte de la Société des Nations prévoyait la « rupture de toutes relations commerciales et financières » avec l'État agresseur et la « cessation de toutes communications financières, commerciales ou personnelles » avec les nationaux de celui-ci ; cette disposition fut partiellement appliquée à l'Italie, en raison de son agression contre l'Éthiopie, du 18 novembre 1935 au 15 juillet 1936 par 52 des 59 États membres de la S.D.N. De même, l'article 41 de la Charte des Nations unies prévoit parmi les mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée « l'interruption complète ou partielle des relations économiques » avec l'État coupable d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'une agression. Un premier embargo fut appliqué à l'encontre de la Rhodésie, dans une résolution du Conseil de sécurité du 16 décembre 1966, qui prescrivait en particulier aux États membres d'empêcher l'importation ou l'exportation d'un certain nombre de produits en provenance ou à destination de ce pays. Le 4 novembre 1977, une deuxième résolution d'embargo du Conseil de sécurité visait cette fois spécifiquement les exportations d'armes vers l'Afrique du Sud, sanctionnée pour sa politique d'apartheid. Jusqu'à la fin de la guerre froide, il n'y eut pas d'autres cas d'application par le Conseil de ce type de sanction internationale.
Depuis lors, le recours à ces mesures coercitives a nettement augmenté. Première d'une longue liste, le 6 août 1990, après l'invasion du Koweït par l'Irak, une résolution du Conseil de sécurité impose un embargo total (financier, commercial et militaire) à l'encontre de ce dernier pays. Cette sanction est maintenue après la fin de la guerre par une nouvelle résolution prise le 3 avril 1991. Exceptant seulement les denrées alimentaires et produits de première nécessité, sa levée était conditionnée par le désarmement irakien. Le 25 septembre de la même année, un embargo sur les exportations d'armes vers la Yougoslavie est décidé par le Conseil. Plus d'une quinzaine de pays ont ainsi été sanctionnés par des boycotts commerciaux et/ou militaires plus ou moins stricts, notamment la Libye, le Liberia et la Somalie en 1992, le Rwanda en 1994, l'Iran en 1995, l'Afghanistan en 1999, la République démocratique du Congo en 2003, et la Côte d'Ivoire en 2004.
Lorsqu'il constitue ainsi une sanction décidée par une organisation internationale, conformément au traité qui définit ses compétences et régit son action, le boycottage est bien entendu licite, l'illicite étant de ne point s'y conformer. On admet qu'il en est de même du boycottage appliqué par un État à titre de représailles contre un acte internationalement illicite ; ainsi le rapport adopté par l'assemblée de la S.D.N. le 24 février 1933 après le raid japonais sur Moukden, qui déclencha la guerre sino-japonaise, disposait-il : « L'emploi du boycottage par la Chine rentre dans la catégorie des mesures de représailles. » On peut considérer en effet qu'il s'agit, là encore, d'un boycottage-sanction, mais l'analogie doit être maniée avec prudence, comme chaque fois qu'il s'agit d'apprécier la licéité des représailles, forme active de la légitime défense dans les relations internationales.
Faute de se justifier comme une sanction (ou comme un acte conforme au droit de la guerre : ce fut peut-être le cas des « listes noires » établies par les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale), le boycottage systématique d'un État, ou de ses ressortissants, en raison de leur nationalité, est un délit du droit international, qui devrait engager la responsabilité de l'État coupable : il porte atteinte, en effet, à la liberté du commerce et de la navigation aérienne et maritime, tant de l'État victime que des entreprises que l'on cherche à empêcher de commercer avec lui. De ce point de vue, les effets extraterritoriaux des lois Torricelli et Helms-Burton citées plus haut sont très contestables sur le plan du droit international, et contreviennent certainement aux accords internationaux conclus dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). La mise en œuvre de cette responsabilité est encore plus délicate lorsque la décision de boycotter n'émane pas ouvertement de l'État, mais d'entreprises ou groupements agissant « spontanément » ; si la preuve de leur intervention occulte n'est pas apportée, à tout le moins peut-on exiger que les États s'efforcent de prévenir un tel boycottage et que, le cas échéant, ils le répriment.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Berthold GOLDMAN : professeur à l'université de Paris-II, président honoraire
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
JEUX OLYMPIQUES - Les boycottages des Jeux
- Écrit par Pierre LAGRUE
- 2 685 mots
Le 8 mai 1984, un bref communiqué du Kremlin annonce que l'U.R.S.S. ne participera pas aux jeux Olympiques de Los Angeles. Pour la troisième fois consécutivement, les jeux Olympiques d'été sont boycottés par plusieurs pays pour des raisons politiques. Mais le boycottage de cet événement...
-
CHAVEZ CESAR (1927-1993)
- Écrit par Marie-France TOINET
- 539 mots
- 1 média
Quiconque a vécu aux États-Unis dans les années 1960 ne peut avoir oublié Cesar Chavez, ce petit homme trapu, ni très beau ni très séduisant, orateur médiocre, mais qui avait l'apparence d'un juste, à la fois bon et déterminé. Il dirigeait alors le boycottage des raisins de table...
-
CIO (Comité international olympique)
- Écrit par Pierre LAGRUE
- 10 362 mots
...Rien n'y fait : au lendemain de la cérémonie d'ouverture, les sportifs de vingt-cinq pays africains quittent Montréal ; les Jeux connaissent leur premier boycottage d'envergure. Quatre ans plus tard, le président des États-Unis, Jimmy Carter, décide que son pays boycottera les Jeux de Moscou pour protester... -
FORBIDDEN HOLLYWOOD (rétrospective)
- Écrit par Christian VIVIANI
- 1 186 mots
- 1 média
...furent le gangster (Edward G. Robinson, James Cagney, Paul Muni) et la femme libérée (Norma Shearer, Jean Harlow, Barbara Stanwyck). D’autres menaces de boycott s’élevèrent alors et des pressions s’exercèrent en vue de l’établissement d’une censure nationale. Préférant l’autocensure à une... -
JEUX OLYMPIQUES
- Écrit par Jean DURRY , Encyclopædia Universalis et Pierre LAGRUE
- 14 894 mots
- 15 médias
...financier. Du 17 juillet au 1er août, 6 028 sportifs (dont 1 247 femmes), représentant 92 pays, vont participer à 198 épreuves dans 21 sports. Mais 30 pays africains ont décidé de se retirer pour protester contre la présence de la Nouvelle-Zélande, dont les joueurs de rugby sont en tournée en... - Afficher les 12 références
Voir aussi
- ALLEMAGNE, droit et institutions
- SDN (Société des nations)
- ISRAÉLO-ARABE CONFLIT
- VENTE REFUS DE
- MILITANTISME
- ACCORDS INDUSTRIELS & ACCORDS COMMERCIAUX
- EMBARGO
- COMMERCE, histoire
- CONSOMMATEUR COMPORTEMENT DU
- NESTLÉ
- CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES
- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, histoire, de 1945 à nos jours
- CHINE, histoire : de la Révolution de 1911 à la République populaire
- RELATIONS DE TRAVAIL