BRETAGNE
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Histoire de la Bretagne
Mythes et réalités
Les limites de la province ont été tellement stables depuis le xe siècle que l'on considère d'ordinaire la configuration de la province comme le résultat, quasi inévitable, d'une évidente nécessité géographique. C'est oublier le caractère artificiel des frontières orientales de la Bretagne. C'est, plus encore, sous-estimer l'hétérogénéité fondamentale du pays. Les liaisons terrestres ont été des plus précaires jusqu'au xviiie siècle. L'expression géographique « Bretagne » recouvre non seulement l'opposition classique de la Haute-Bretagne, de la Basse-Bretagne et du pays nantais, mais encore l'existence prolongée d'une multitude de petits « pays », tournés vers la mer beaucoup plus que vers le terroir voisin. La langue elle-même ne simplifie pas les relations humaines. Le breton a certes atteint au ixe siècle une limite jalonnée à l'est par les villes de Dol, Montfort, Donges et Pornic. La rapidité du recul de la langue bretonne dès le xe siècle, qu'on ne peut imputer à la seule aristocratie locale, permet de supposer que son implantation en Haute-Bretagne n'a jamais été très solide. Au surplus, du Trégorrois au Vannetais, les dialectes locaux n'ont cessé de se différencier, constituant ainsi plutôt un facteur d'opposition que d'unité. La mythologie romantique a voulu expliquer cette fragmentation péninsulaire par l'existence d'une « forêt centrale », reste de la « forêt primitive », lieu d'élection de tous les enchantements et de tous les sortilèges de la forêt de Brocéliande. Mythe littéraire d'autant plus tentant qu'il serait la source du « cycle breton ». Mais, dès l'époque romaine, il n'y a plus de forêt centrale, et même si elle a repris quelques terrains à la faveur des troubles et des invasions, il n'existe aucun moyen, pour l'heure, d'en vérifier, d'en mesurer l'ampleur réelle – qui a dû être faible. Quant au « cycle breton », il est, pour l'essentiel, gallois et d'outre-Manche. Les apports bretons ne semblent que très partiels et, en définitive, passablement hypothétiques.
À vrai dire, vocabulaire et aspect géographique se sont conjugués pour aider à la naissance de ces mythes. Sous l'Ancien Régime, on dénomme, en Bretagne, forêt ce qui n'est bien souvent que simple lande. Le bocage surtout donne l'illusion d'un pays boisé. L'infinie patience de l'école géographique rennaise a maintenant tiré au clair la question de l'origine du bocage breton. Il s'est constitué à des époques diverses, à partir d'un paysage « originel » qui a dû être, au point de départ, un openfield. Une partie de ce bocage existait dès l'époque romaine, peut-être dès la préhistoire. Mais, à bien interpréter les cartulaires, une grande partie du bocage semble s'être formée au haut Moyen Âge, entre la période carolingienne et le xiie siècle. Il s'est étendu par la suite, souvent sous la pression des propriétaires et des seigneurs fonciers, pour atteindre son maximum d'extension avec le défrichement des landes au xixe siècle. Ainsi le paysage breton, avec ses multiples enclavures de « campagnes », est l'un des plus historiques que l'on puisse imaginer, œuvre de longue haleine, étroitement liée aux conditions juridiques et économiques d'une histoire particulièrement complexe.
Des constructeurs de « dolmens » aux envahisseurs normands (Xe siècle)
Dolmens et menhirs : consacrés par l'usage, ces termes des « celtisants » du xviiie siècle évoquent une grande civilisation ouest-atlantique et méditerranéenne, qui a donné à la péninsule bretonne son premier grand rôle historique. Comme l'ère du bronze, comme plus tard encore l'époque de l'indépendance celte, c'est une période d'intenses relations commerciales : étain de Cornouaille et de Bretagne. Aux derniers siècles avant notre ère s'y ajoute l'exploitation des mines de plomb argentifère du Huelgoat et de Poullaouen, qui atteint une grande ampleur à l'époque romaine. Ainsi s'explique l'importance des monnaies bretonnes d'avant la conquête romaine, dont les figurines révèlent, on le sait, un caractère abstrait. Un réseau d'oppida surveille les mines, tandis que les Romains construisent leur réseau routier de Basse-Bretagne en fonction des exploitations minières, et même des carrières de terre de poterie.
La péninsule connaît donc une longue période de relative richesse, dont l'apogée se situe entre le iie siècle avant J.-C. et le iiie siècle après J.-C. Les plus riches trésors préhistoriques français ont été trouvés en Bretagne.
D'où la nécessité pour César de vaincre les Vénètes (56 av. J.-C.). Après le célèbre combat naval du golfe du Morbihan, les trésors jalonnent la route de fuite vers le golfe du Mont-Saint-Michel, alors que d'autres fractions des peuples armoricains se réfugient dans les oppida du Finistère. D'où, probablement, la nécessité pour César d'intervenir préventivement en Grande-Bretagne (55-54).
Il est donc logique que les Romains se soient vivement intéressés à la péninsule bretonne ; en réalité, celle-ci a été beaucoup plus romanisée qu'on ne l'a longtemps pensé. La quasi-totalité du pays a dû être mise en valeur et le réseau romain sera le seul digne de ce nom avant celui du duc d'Aiguillon. Les fouilles – dont celles de Corseul – révèlent un état technique correspondant à celui du reste de la Gaule. Ainsi le verre à vitre n'y est pas inconnu.
Face à l'abondante moisson de nouveautés que nous livrent les fouilles préhistoriques et gallo-romaines, l'étude du haut Moyen Âge semble décevante. Quelle a été l'ampleur réelle des invasions qui, du iiie au ixe siècle, ont ravagé la Bretagne ? Celles du iiie siècle sont attestées à Rennes comme à Nantes par la construction d'étroites enceintes faites de matériaux de remploi. Mais la grande affaire reste les invasions des ve et vie siècles. Venues des îles Britanniques, elles donnent son nom à la péninsule armoricaine. Le terme « Bretagne » est employé pour la première fois par Grégoire de Tours et Fortunat (seconde partie du vie s.). Plus que toute autre, l'histoire de cette invasion a été le domaine des affabulations ou des hypothèses plus ou moins gratuites. Reléguons donc les Conan Meriadec et ses émules au royaume des oripeaux des vanités « historisantes ». On ne sait rien ou presque rien ni des débuts de l'immigration ni de sa fin, à plus forte raison de ses origines ou de son ampleur même approximative. Notre seule documentation – combien délicate à manier ! – émane de la toponymie et de la linguistique. Falchun a soutenu que le dialecte vannetais s'expliquerait par la survie de la langue gauloise locale. Hypothèse séduisante. L'hagiographie offre sans doute une source supplémentaire, qui souligne, s'il en était besoin, l'importance du monachisme irlandais et son rôle dans la christianisation tardive de la Bretagne. Mais l'addition de nos connaissances ne peut masquer que l'époque du ve au xe siècle coïncide avec les « siècles obscurs » de cette histoire provinciale. Seuls les raids de représailles des Carolingiens permettent d'avancer quelques dates : expéditions de Pépin le Bref (753), de Charlemagne (786, 798, 801), de Louis le Pieux (818, 824, 837). C'est à ce moment que Nominoë devient le princeps Veneticaecivitatis, pour se retourner ensuite contre Charles le Chauve. Ainsi la Bretagne commence à former une principauté héréditaire, dont le centre de gravité se situe en Haute-Bretagne. En dépit de leur politique religieuse – qui leur vaut l'inimitié des écrivains ecclésiastiques – Nominoë et ses successeurs sont constamment tournés vers le monde franc. Pour autant qu'on le sache, ils assurent – ou laissent s'opérer – la fusion entre éléments bretons et éléments autochtones.
Ce premier contact avec la civilisation continentale de l'Europe franque fut vite interrompu par les invasions normandes, qui débutent dès 835 par le pillage de Nantes, et prennent un tour dramatique à partir de 908 et jusqu'en 938. À en croire les plaintes du temps, toutes les villes auraient été détruites, tous les cadres de la société se seraient enfuis. L'exagération est probable, l'ampleur des changements a cependant dû être considérable. Toutefois lorsque la Bretagne entre dans l'histoire, le duché est pratiquement constitué, ses limites sont précisées, la langue bretonne est rejetée vers l'ouest. Il est donc évident que les invasions normandes n'ont pas réussi à empêcher l'évolution de se poursuivre. Le bocage s'étend, tout en conservant dans le tracé des chemins ruraux une partie des orientations préhistoriques (d'origine religieuse ?) ou cadastrales romaines. Les péages de la Vilaine dénotent une certaine activité commerciale, facilitée par des ébauches d'écluses. On est, sans aucun doute, très loin de la prospérité romaine. Les mines semblent abandonnées – forges mises à part ; la surface cultivée est en recul. Le domaine congéable est-il né pendant cette période d'invasions, de manière à faciliter la mise en valeur des terres abandonnées, ou est-il né vers la fin du Moyen Âge ? Il est impossible d'en décider. Les diocèses, aux origines complexes (les cités gallo-romaines, comme les abbayes « irlandaises », ont joué leur rôle dans leur naissance), sont devenus les cadres institutionnels de la vie bretonne et vont le rester jusqu'en 1789 ; les plou se sont transformés en paroisses.
À l'époque féodale (Xe-XVe siècle)
Face à l'Europe romane et gothique, la Bretagne ducale fait longtemps figure de parent pauvre. Chancelleries royale et pontificale s'accordent pour ne concéder au duc que le simple titre de comte – ce jusqu'au xiiie siècle. Les maisons de Nantes, de Rennes et de Cornouaille étendent cependant le domaine ducal sur l'ensemble de la péninsule. Depuis le ixe siècle, la Bretagne s'est couverte de châteaux, d'abord simples « mottes » dominées de palissades, dont l'exploration archéologique reste à entreprendre. Dans certains cas, l'apparition de murs maçonnés pourrait les faire dater du xe siècle. La poterie témoigne de la pauvreté de la province : elle ne peut se comparer aux réalisations gallo-romaines. La civilisation vient de l'est. Elle doit beaucoup aux grandes abbayes normandes, angevines, poitevines, qui multiplient les fondations en Bretagne et affilient nombre d'églises à des couvents bretons, mais aussi aux grandes familles de l'aristocratie, qui joueront un rôle culturel important aux xive et xve siècles. Ces influences diverses se retrouvent dans l'art roman breton.
La vie politique du xiie siècle est marquée par la forte emprise de l'empire angevin qui, en particulier, contribue à la codification des fondements du système nobiliaire (assise du comte Geoffroy, 1185). La défaite des Plantagenêts aboutit cependant à l'implantation des Capétiens en Bretagne, grâce au mariage d'Alix de Bretagne avec Pierre de Dreux (1213). Le duché est donc dirigé du xiiie au xve siècle par une dynastie capétienne : c'est elle qui a apporté les hermines au blason de Bretagne. La civilisation gothique trouve un duché en expansion. La baie de Bourgneuf et la presqu'île de Guérande sont devenues le rendez-vous des marines du nord de l'Europe venues y chercher le sel. Il n'existe cependant pas encore de marine bretonne. L'axe du duché se situe au sud, de Nantes à Vannes, avec, comme l'indiquent les péages, un axe secondaire le long de la vallée de la Vilaine vers Rennes. La découverte fortuite de monnaies ducales du xiie siècle dans une mine de Basse-Bretagne permet d'avancer l'hypothèse d'une reprise de l'activité minière, fondée sur le plomb argentifère ; mais la politique monétaire ducale est à peu près inconnue.
Les premières manifestations de l'art gothique sont dominées par les influences du gothique de l'Ouest : la cathédrale d'Angers sert de modèle principal. L'évêque de Rennes Étienne évoque la vie paysanne : on y entrevoit la dureté du système seigneurial et la fréquence des « émotions populaires », qui, longtemps, restent l'un des traits majeurs de l'histoire régionale.
Aux xive et xve siècles, la Bretagne entre dans la grande histoire. La guerre de Succession (1341-1365) est l'un des épisodes majeurs de la guerre de Cent Ans. Le conflit successoral, fondé sur l'attribution (discutable en droit féodal) du duché à Jeanne de Penthièvre au détriment de Jean de Montfort, ravage cruellement le pays. La question principale semble être celle de la croissance continue du pouvoir central. Le conflit franco-anglais permet aux ducs, surtout après le traité de Guérande (1365), de mener une politique de bascule assez fructueuse. Le xve siècle apparaît donc aux yeux de nombre d'historiens comme le grand siècle breton. Le gothique breton est l'œuvre des deux derniers siècles du Moyen Âge. Autour de la cour ducale se crée un véritable art de cour, dont le château de Nantes est le symbole, profondément influencé par l'art ligérien. La découverte du granite de Kersanton favorise le développement de la sculpture, et le vitrail est travaillé dans de nombreux ateliers. La marine commerciale bretonne se développe, surtout en Basse-Bretagne, et devient l'un des éléments majeurs du commerce nord-sud de l'Europe de l'Ouest. Ne forçons cependant pas la note : la Bretagne reste une oasis – elle est relativement prospère – au milieu d'un monde devenu fou. Le rétablissement de la paix provoque paradoxalement une crise économique qui ne devait cesser que vers 1530. D'où, sans doute, la reconversion partielle vers la pêche, et, à l'extrême début du xvie siècle, la mise en valeur des bancs de Terre-Neuve.
À ce moment, l'indépendance a déjà pris fin. François II meurt en 1488. La duchesse Anne a douze ans. Face au royaume de France, face à l'armée royale et à son artillerie, les tentatives de maintenir la situation antérieure se révèlent vaines. Nantes, Rennes se fortifient, font appel aux spécialistes allemands ; Anne est mariée par procuration à Maximilien (1490) ; le peuple suit d'autant moins qu'il est la victime des troubles. Bloquée dans Rennes par les troupes royales, Anne épouse d'abord Charles VIII (traité du 15 déc. 1491), puis Louis XII (8 janv. 1499). Dans la mesure – limitée – où l'on peut parler de sentiment national, il est le fait d'une partie de la population urbaine, de la bourgeoisie et de la petite noblesse ; la haute noblesse a pris le parti du roi de France ; le peuple s'est désintéressé, semble-t-il, des événements.
La province de Bretagne (XVIe-XVIIIe siècle)
La province et le royaume
L'histoire politique de la province est dominée par les états de Bretagne, c'est-à-dire par la noblesse. Sa situation est, en effet, très particulière. L'union, définitivement consacrée par l'Acte de 1532, fait du roi de France l'héritier des ducs. Le sommet de la pyramide sociale et politique reste donc vacant jusqu'à l'installation, tardive, de l'intendance (1688). Il est vrai qu'au xviie siècle le maréchal de La Meilleraye, favori de Richelieu, puis le duc de Chaulne ont joué un rôle de premier plan dans la province. Il reste que la noblesse des états et du parlement de Bretagne, créé en 1554, dirige le pays. La codification de la coutume de 1580 renforce encore son pouvoir. L'entente avec la royauté est d'ailleurs bonne jusque vers 1675. La Bretagne ne participe réellement ni aux troubles de la minorité de Louis XIII ni à la Fronde. C'est à Nantes, fief du maréchal de La Meilleraye, que sont arrêtés Chalais et Fouquet, qu'est enfermé le cardinal de Retz. Les guerres de la Ligue sont elles-mêmes d'effet plus limité qu'on ne l'a dit. Elles commencent au demeurant plus tard qu'ailleurs (1588), le protestantisme breton se limitant à quelques centaines de familles nobles et bourgeoises. L'ardeur des sentiments catholiques n'exclut même pas chez la plupart des ligueurs la fidélité à la royauté française. Le duc de Mercœur n'ose avouer qu'il brigue, à son profit, un duché indépendant. L'appui espagnol le dessert, et ses relations avec Philippe II sont loin d'être parfaites.
À partir de 1675, la noblesse bretonne se hisse cependant au premier rang de l'opposition politique française. Réformation de la noblesse (1668-1672) et réformation du domaine royal largement usurpé au siècle précédent, installation de l'intendance, puis création des premiers impôts égalitaires (capitation en 1694, dixième en 1710) en paraissent les causes majeures. Le conflit connaît deux épisodes principaux : celui de 1718, plus ou moins lié à l'affaire du duc de Maine ; puis le grand conflit entre le duc d'Aiguillon et La Chalotais, la célèbre « affaire de Bretagne ». La virulence bretonne s'explique en partie par l'atmosphère très particulière des assemblées provinciales, dont la psychologie est « affective, émotive, facilement passionnée ». La noblesse bretonne a, au surplus, été plus ou moins « manipulée » par certains clans parisiens, mais elle s'est passionnément défendue de vouloir mener une politique antinationale et elle l'a prouvé par sa participation aux guerres terrestres et maritimes. Elle rejette simplement l'appareil administratif et bureaucratique de l'État moderne, quitte à créer une administration jouant à son profit. Ces luttes politiques ne doivent pas masquer le problème paysan ; celui-ci est permanent : dans les guerres de la Ligue comme lors de la révolte du papier timbré (1675), les masses paysannes bougent comme elles le feront lors de la Révolution. La vie économique bretonne comporte en effet deux volets très dissemblables.
Le commerce breton et, par conséquent, la vie urbaine connaissent incontestablement, du xvieau xviiie siècle, la prospérité. La croissance démographique est manifeste, du million et demi d'habitants au xve siècle (chiffre calculé en fonction des fouages) aux deux millions trois cent mille habitants de 1789 (chiffre calculé en fonction du nombre des naissances, relevé par l'enquête de l'abbé Terray). Cette croissance, qui pourrait s'être réalisée surtout dans la première moitié du xvie et au cours du xviie siècle, précède celle de la fin du xviie et du xviiie siècle, limitée en raison des hécatombes qui ont lieu de 1690 à 1720 et de 1770 à 1790. Les registres paroissiaux – parmi les plus anciens de France – révèlent une démographie traditionnelle, qui évolue plus lentement qu'ailleurs, et se double d'un exode rural précoce.
L'économie rurale évolue très lentement : les nouveautés se situent au xvie siècle. Continuant un mouvement amorcé dès la fin du Moyen Âge, la vigne recule rapidement vers le sud pour atteindre ses limites actuelles dès le début du xviie siècle. Le pays nantais est désormais spécialisé dans la production de vins de qualité moyenne et d'eau-de-vie, cette dernière étant « lancée » par les Hollandais. En revanche, le pommier à cidre, venu au xve siècle de Normandie, conquiert lentement la Haute-Bretagne (xvie-xviie s.), puis la Basse-Bretagne (xviie-xviiie s.), cela sous la pression des seigneurs-propriétaires fonciers. Le sarrasin, introduit sous François Ier, connaît un succès spectaculaire qui en fait la céréale populaire. Les cultures légumières, inaugurées au Moyen Âge par celle des oignons de Roscoff exportés en Angleterre, sont plus sporadiques, limitées à certaines régions proches des villes maritimes. Ces progrès ont un effet social limité. Le prélèvement nobiliaire est de l'ordre de 30 p. 100, celui de l'Église atteint 10 p. 100 (dîmes comprises) : d'où la sensibilité de la masse paysanne à l'accroissement des impôts royaux, qui comptent cependant parmi les moins lourds du royaume. L'absence de gabelle est particulièrement bénéfique. Il reste que la paysannerie ne participe guère à la commercialisation des céréales nobles qui nourrissent l'exportation.
Vocation commerciale
Le blé, le vin et le sel, fondement du commerce médiéval, représentent le principal des transactions qui s'opèrent à Nantes, grand marché national, lieu d'attraction pour le négoce espagnol et hollandais. Mais le commerce nantais se développe entre 1640 et 1680 en direction des Antilles, bien plus tard que Saint-Malo. Pêche à la morue, découvertes canadiennes de Jacques Cartier provoquent au xvie siècle l'essor de cette dernière ville. Son succès s'amplifie à partir de 1571, lorsque les navires malouins pénètrent en Méditerranée occidentale. Les Malouins sont, au cours de la première moitié du xviie siècle, les principaux transporteurs de l'alun pontifical ; ils créent ainsi le premier trafic triangulaire (Terre-Neuve - Italie -Nord). Le fondement du commerce breton de l'époque moderne est cependant fourni par les toiles, fabriquées dans les campagnes des côtes nord de la péninsule à partir des matières premières locales : lin et chanvre. Les toiles de toutes catégories s'exportent surtout vers la péninsule Ibérique, et, au cours du xviie siècle, vers le nord. D'où un afflux considérable de métal précieux qui, venant du Portugal et d'Afrique, a fait son apparition dans la seconde moitié du xve siècle. L'argent espagnol domine la vie de l'ouest de la France à partir de 1550, ruinant les mines argentifères bretonnes. De 1550 à 1610, les deux ateliers de frappe monétaires (Rennes et Nantes) fournissent le tiers de l'argent métal français. De 1610 à 1680, les chiffres triplent, mais le pourcentage tombe à 16 p. 100, du fait de l'importance prise, à partir de 1640, par l'hôtel de la Monnaie parisien. Enfin, de 1700 à 1715, le trafic des mers du Sud fait passer plus de 200 millions de livres de métal précieux par la province, surtout par Saint-Malo.
Le xviiie siècle connaît certaines difficultés. Le commerce des toiles plafonne, entraînant le recul de la population de certaines villes, telle Vitré. La démographie désastreuse des années 1770-1790 est l'indice de ces difficultés bretonnes, masquées par l'extraordinaire essor du commerce nantais, orienté vers les Antilles. Grâce aux ports de Nantes, de Lorient et de Saint-Malo – ce dernier reprend au cours de la seconde moitié du xviiie siècle – la province domine le commerce maritime français. Elle assure le tiers des constructions navales et, vers 1790, détient 27 p. 100 du nombre total des navires du pays. C'est donc la première province maritime, rang que la Normandie détenait au siècle précédent.
Mais jamais le contraste entre le centre de la péninsule, qui se vide, et les régions côtières n'a été plus accentué. Le dynamisme commercial joue, de même, au détriment de la Basse-Bretagne, où les ports végètent après l'euphorie du xvie siècle, que traduit par exemple l'existence de l'école cartographique du Conquet. Guerres maritimes et commerce des Indes orientales aboutissent, en revanche, à la création et au développement de deux grandes villes nouvelles : Brest et Lorient, villes semi-militaires implantées un peu à la manière de villes coloniales dans un pays peu urbanisé.
Remous de la grande histoire
Une conjonction de facteurs, les uns favorables et dynamiques, les autres hostiles, explique la violence des soubresauts de la période révolutionnaire. Le club breton est à l'origine du club des Jacobins, la jeunesse de Rennes et de Nantes participe largement aux événements prérévolutionnaires, les cahiers de doléances bretons comptent parmi les plus virulents de France. Mais tout le monde connaît aussi l'ampleur, non moins spectaculaire, des mouvements contre-révolutionnaires de Bretagne, provoqués par la levée, en 1793, de 300 000 hommes. La Révolution fait ainsi apparaître en pleine lumière une distorsion politique déjà ancienne, que manifestera plus ou moins la géographie électorale des xixeet xxe siècles. L'on peut ainsi grossièrement opposer une Bretagne de « droite » et une Bretagne de « gauche ». La première englobe le Morbihan, l'intérieur de la partie « galle » des Côtes-du-Nord, l'ouest et l'est de l'Ille-et-Vilaine, la quasi-totalité de la Loire-Atlantique. Seuls les centres urbains y constituent des îlots de résistance. En revanche, le Finistère, la région côtière des Côtes-du-Nord, la partie centrale de l'Ille-et-Vilaine sont orientés vers la République, mais une République modérée non antireligieuse. Certains de ces éléments se trouvent déjà dans la carte du recrutement sacerdotal du xviiie siècle. Dans le diocèse de Rennes, celui-ci est largement fourni par les régions de Vitré-Fougères. L'image classique des chouans ne doit pas faire oublier la figure du révolutionnaire breton ; autant et plus que les fédérés marseillais, les fédérés brestois ont joué un rôle capital dans la journée du 10 août 1792.
L'Empire fait en Bretagne figure de régime de « gauche ». Sans doute, la majeure partie de la noblesse se rallie-t-elle à Napoléon, et y a-t-il, tout au long du xixe siècle, une « noblesse napoléonienne », mais la chouannerie morbihannaise produit Cadoudal et se révèle singulièrement dangereuse lors des Cent-Jours.
L'effet des destructions de l'époque révolutionnaire, qu'il ne convient ni de surestimer ni de sous-estimer, s'additionne à celui de l'interminable guerre maritime franco-anglaise pour briser l'élan économique breton. La première moitié du xixe siècle est l'apogée d'une civilisation artisanale traditionnelle : moulins à eau et à vent ; télégraphe Chappe ; canaux de déblocage des ports en temps de guerre ; agriculture qui s'améliore, surtout après 1840 ; prospérité commerciale et campagnarde suffisante pour donner son empreinte au costume paysan. Mais Saint-Malo s'étiole vite, le textile décline irrémédiablement. La population des villes ne retrouvera qu'en 1840 les chiffres d'avant 1789, alors qu'entre 1800 et 1851 la population bretonne augmente d'environ 600 000 âmes. Seule Nantes se maintient et développe même son trafic du Pacifique, sans pouvoir empêcher pourtant un déclin général de plus en plus marqué. Les cadres politiques sont dominés par les propriétaires fonciers. Cette prédominance du monde rural n'empêche nullement les crises de subsistances, durement ressenties dans les villes, surtout entre 1845 et 1848. L'activité minière, relancée vers 1750, se maintient jusqu'au milieu du xixe siècle ; pendant plus d'un siècle, les mines de Basse-Bretagne produisent en moyenne une tonne d'argent par an. Comme elles, les forges de l'intérieur se maintiennent sans progresser.
Comme partout, le second Empire est une période de réveil. À partir de 1858, le chemin de fer représente un réseau cohérent ; Saint-Nazaire, ville-champignon, supplée aux insuffisances de l'estuaire ligérien. L'agriculture se transforme grâce au défrichement des landes, amorcé sous le régime précédent par l'Alsacien Jules Rieffel. La culture de la pomme de terre progresse, tout comme l'élevage des porcs. Le tourisme balnéaire s'amorce : le romantisme pictural et littéraire y est pour beaucoup. La construction navale moderne apparaît. L'envers de la médaille est la disparition progressive des forges et celle de l'industrie artisanale du textile rural. Aussi le régime impérial trouve-t-il une assise solide en Bretagne. Le Nantais Billault, ministre de l'Intérieur, puis porte-parole de l'empereur au Corps législatif, en est le symbole, mais meurt trop tôt en 1862.
Sous la IIIe République, les cartes électorales reflètent l'opposition des deux Bretagnes. À l'exception du Morbihan, le passage à la République s'opère aussi vite que dans le reste de la France lors des élections partielles de 1871 à 1875. Mais les luttes religieuses faussent les données du jeu politique. Le 14 mars 1906, le procureur général de Rennes écrit : « Les forces de l'ordre sont impuissantes dans toute la Bretagne. » C'est dire l'importance décisive des questions religieuses. De 1803 à 1967, le département du Finistère fournit à lui seul 4 600 prêtres séculiers, auxquels s'ajoutent de 2 000 à 3 000 réguliers. En Loire-Atlantique, comme dans le Finistère, la courbe des ordinations est à son apogée entre 1870 et 1910. Ces chiffres ne doivent pas cacher les contrastes locaux : près des trois quarts des vocations du Finistère sont produites par les villes et les villages situés au nord-ouest d'une ligne Douarnenez - Saint-Pol-de-Léon. Les régions où les vocations sacerdotales sont les plus rares sont celles qui ont participé à la révolte du papier timbré.
Peu touchée par les guerres du xixe siècle, mis à part la courte occupation d'une partie de la Haute-Bretagne par les Prussiens en 1815, la province devient en revanche le pivot de la guerre maritime allemande de 1940 à 1944. Mais la libération de la Bretagne constitue un cas unique en France : celui d'une province où la Résistance est associée à tous les échelons aux opérations militaires. Les espérances fondées par les Allemands sur les mouvements « autonomistes » ont été vite déçues, et l'île de Sein est sans conteste la seule portion de la France à être restée sans interruption aux côtés des Alliés. Le prix payé par la province a été élevé en vies humaines comme sur le plan matériel : sièges et bombardements de Nantes, Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire.
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Écrit par
- Jean MEYER : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes
- Jean OLLIVRO : professeur à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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Voir aussi
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- COMMERCE, histoire
- CLIMAT OCÉANIQUE
- NOMINOË (mort en 851)
- ARRÉE MONTS D'
- MASSIF ARMORICAIN ou ARMORIQUE
- MONTAGNE NOIRE, Bretagne
- ROMAINE EXPANSION
- FRANCE, géographie physique
- FRANCE, géologie
- FRANCE, histoire, du XVIe s. à 1715
- FRANCE, histoire, de 1789 à 1815
- FRANCE, histoire, de 1815 à 1871
- FRANCE, histoire, de 1871 à 1939
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