Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BYZANCE La littérature

Article modifié le

L' histoire littéraire, qui privilégie volontiers les notions de sommet et de décadence, est souvent amenée à laisser de côté des pans entiers de la culture, ou à les dévaluer. Pareil sort n'a pas épargné la littérature byzantine, trop souvent jugée à l'aune du monde grec classique. Pourtant l'ensemble d'œuvres qui la constitue et qui s'étend sur un millénaire mérite d'être considéré de plus près. Émanation d'un pouvoir théocratique fortement ritualisé, nourrie des patrimoines grec et romain, traversée de part en part par la théologie et le goût de l'éloquence, cette littérature à bien des égards « officielle » constitue en effet un trait d'union d'importance dans l'histoire de l'Occident.

Le temps des incertitudes (395-610)

De la mort de Théodose à l'avènement d'Héraclius, on compte deux siècles pendant lesquels Byzance hésite encore entre sa vocation orientale et le mirage d'une restauration de l'Empire universel où s'épuisera Justinien. Constantinople n'est pas encore le centre unique d'un empire où le grec n'est pas encore la seule langue de culture, où la foi de Chalcédoine n'a pas encore rallié toutes les âmes. La plupart des éléments politiques, sociaux, culturels qui formeront l'Empire proprement byzantin apparaissent durant cette période, mais encore mêlés aux structures caduques héritées du passé.

Cette incertitude se reflète dans la vie intellectuelle, qui se partage entre les vieux centres de l'hellénisme : Alexandrie, Antioche, Gaza où prospère une célèbre école de rhétorique, Athènes où meurt l'Université païenne. Du paganisme religieux il ne reste à peu près rien après le règne de Justinien : mais les curiosités esthétiques de l'alexandrinisme touchent encore beaucoup d'esprits. Le dernier romancier antique, Achille Tatios, le dernier épistolographe, Aristénète, sont probablement tous deux du ve siècle : ils trouvent des lecteurs, qui ne sont sûrement pas tous des païens. Ni l'un ni l'autre n'ont éprouvé le besoin de changer quoi que ce soit aux formules traditionnelles des genres qu'ils ont cultivés. On peut en dire autant des poètes profanes : auteurs de petites épopées dans le goût alexandrin, comme Tryphiodore, ou Colouthos, qui versifia (fin du ve siècle ?) L'Enlèvement d'Hélène ; épigrammatistes surtout. L' épigramme est peut-être le seul genre de poésie profane qui soit resté en honneur jusqu'à la fin de la période byzantine. Elle connaît un regain de faveur au vie siècle, grâce au cercle littéraire réuni autour d' Agathias le Scolastique (536-582 env.), d'où est sorti le Kyklos, recueil d'épigrammes anciennes et nouvelles disposées par genres et futur noyau de l'Anthologie palatine. C'est à ce cercle qu'appartenait entre autres Paul le Silentiaire, officier de la cour de Justinien, poète sensuel et passionné qui, en d'autres temps, eût pu être un grand élégiaque.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

La tradition alexandrine se perpétue aussi dans le domaine des sciences, où l'on voit déjà poindre, cependant, un goût très byzantin pour les florilèges et les abrégés. On peut citer les monumentales Ethnika du géographe Étienne de Byzance, malheureusement perdues, le traité sur l'astrolabe de Jean Philoponos, précurseur de la mécanique moderne, l'Onomatologos, ou dictionnaire des écrivains célèbres, d'Hésychios de Milet (vie s.), surtout la Médecine en douze livres d'Alexandre de Tralles, frère de l'architecte de Sainte-Sophie, remarquable par l'importance qu'y prend l'observation méthodique.

Si la fermeture de l'université d'Athènes en 529 porte le dernier coup à la philosophie païenne, il faut se rappeler que, depuis plusieurs siècles, celle-ci occupait une place secondaire par rapport à la rhétorique dans l'éducation grecque. Loin de proscrire la philosophie, l'époque pré-byzantine lui a ouvert une nouvelle carrière en l'appelant à fournir une base rationnelle aux doctrines qui s'affrontaient dans les grandes batailles dogmatiques. Certains esprits tâchent d'appliquer à cette fin la méthode d'Aristote, sa logique et ses conceptions scientifiques, jetant ainsi les bases de la scolastique : c'est le cas de Jean Philoponos, païen converti, qui réfuta la théorie de l'éternité du monde (De la création du monde), et de Léontios de Byzance (475 env.-542), qui chercha une formulation philosophique du dogme des deux natures du Christ. Mais c'est surtout au platonisme et au néo-platonisme que les philosophes de ce temps ont demandé d'unir la rasion et la foi. Leur influence est sensible dans l'œuvre des maîtres de l'école de Gaza (Énée de Gaza, 450 env.-534 ; Procope de Gaza, 465-529 env. ; Zacharie le Scolastique), d'ailleurs plus rhéteurs que philosophes, et surtout dans celle du pseudo-Denys l'Aréopagite, fondateur de la théologie mystique.

La littérature religieuse

La période de répit qui sépare la crise monophysite de la crise monothélite voit fleurir la littérature ascétique, genre appelé à un grand avenir à Byzance. Jean Climaque (525 env.-605), dans L'Échelle du paradis, enseigne à ses moines du Sinaï l'impassibilité par la méditation de la mort ; Jean Moschos (550 env.-619) propose dans les anecdotes du Pré spirituel l'exemple des grands ascètes de Palestine. Tous deux sont d'origine orientale, tous deux écrivent dans une langue populaire. Ces deux traits se retrouvent dans l'hymnologie liturgique de cette époque, qui est remarquable par sa puissance et son originalité. Elle s'exprime dans un genre propre à Byzance, bien qu'il dérive probablement de modèles syriaques adaptés au public grec : c'est le kontakion, sorte d'homélie rythmée et chantée, dont les strophes, d'une structure métrique compliquée, se terminent toutes par le même refrain. En dehors de Romanos, bien peu d'œuvres des mélodes ou poètes de Kontakia nous sont parvenues : les plus remarquables, encore en usage dans l'office actuel, sont le Chant funèbre d'Anastase, et surtout l'Acathiste, hymne à la Rédemption et litanie à la Vierge, d'une luxuriante abondance. L'hagiographie enfin, autre genre à la fois religieux et populaire, trouve d'emblée son maître dans la personne de Cyrille de Scythopolis, moine de Palestine (514-557 env.), biographe de saint Sabas et des grands abbés de Terre sainte, qui, par le sérieux de sa documentation, fait figure de véritable historien.

L'histoire

L'histoire est en grand honneur dès les premiers siècles de Byzance, où elle se partage en deux genres bien distincts. D'un côté, on a les historiens proprement dits, qui limitent leur sujet à l'époque contemporaine et mettent en œuvre avec intelligence, sinon toujours avec objectivité, une documentation de première main, dans la grande tradition des historiens classiques, dont le souvenir imprègne jusqu'à leur langue. Tels sont Procope et ses continuateurs : Agathias, déjà cité comme poète (Le Règne de Justinien) ; plus rhéteur que Procope, Ménandre le Protecteur, dont il ne reste que des fragments ; Théophylacte Simocatta (Histoires), historien de Maurice. On peut leur adjoindre un historien ecclésiastique, Evagrios d'Épiphanie (né en 536) qui a su exposer avec clarté les conflits doctrinaux du ve et du vie siècle.

D'autre part, les chronographes, plus moralistes qu'historiens, s'adressent à un public populaire qu'ils prétendent édifier en retraçant – sans aucune critique, bien entendu – l'histoire de l'humanité depuis Adam, et en s'attachant surtout aux événements frappants : pestes, éclipses, séismes, naissances de monstres, etc. Ils sont liés entre eux, non par un lien de continuité, comme les historiens, mais parce qu'ils puisent tous plus ou moins à un fonds commun dont on peut suivre la formation jusqu'à Julius Africanus, au iiie siècle. Ces chronographes sont encore rares au vie siècle : le principal est Jean Malalas, moine d'Antioche, d'esprit fort particulariste, et le plus « vulgarisant » des écrivains de cette époque.

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître assistant à l'École pratique des hautes études
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Autres références

  • BYZANCE, 330-1453 (exposition)

    • Écrit par
    • 1 037 mots

    Du marbre représentant le monstre marin rejetant Jonas sur la rive à la plaque d'orfèvrerie de l'éclatant saint Michel archange et à l'icône de l'Échelle sainte de Jean Climaque, plus de trois cents objets ont exprimé, lors de l'exposition Byzance, 330-1453 (Royal Academy...

  • BYZANCE MÉDIÉVALE 700-1204 (A. Cutler et J.-M. Spieser)

    • Écrit par
    • 1 250 mots

    La collaboration de deux grands spécialistes de Byzance a permis la mise au point d'un livre intelligent et vivant, qui renouvelle les vues routinières sur Byzance (coll. L'Univers des formes, Gallimard, Paris, 1996).

    Une brève introduction souligne quelques constantes de l'âme byzantine....

  • ALBANIE

    • Écrit par , , et
    • 22 078 mots
    • 9 médias
    ...que l'Illyrie, christianisée dès le ier siècle (avec saint Asti à Durrës et saint Donat à Vlora), fournit, au iiie siècle, plusieurs empereurs. Comprise, en 395, dans l'empire d'Orient, elle fut ravagée par les invasions barbares avant que le déferlement slave des vie et viie siècles...
  • ALP ARSLAN (1030 env.-1072) sultan seldjoukide (1063-1072)

    • Écrit par
    • 328 mots

    Après avoir montré ses qualités militaires dans des campagnes victorieuses en Afghanistan et en Iran, Alp Arslan succède vers 1060 à son père Tchaghri Beg au Khorassan, puis en 1063 à son oncle Toghroul Beg en Iran et en Irak. Ayant réussi à éliminer ses oncles et cousins, reconnu comme ...

  • ANASTASE LE BIBLIOTHÉCAIRE (810 env.-env. 880)

    • Écrit par
    • 455 mots

    Linguiste distingué et cardinal de Rome né autour de 810, probablement à Rome (Italie), mort vers 880, Anastase le bibliothécaire est un conseiller politique influent des papes du ixe siècle.

    Apparenté à un évêque italien et reconnu pour sa parfaite connaissance du grec, Anastase est nommé cardinal-prêtre...

  • ANNE COMNÈNE (1083-1148)

    • Écrit par
    • 564 mots

    Fille aînée de l'empereur Alexis Ier (qui régna de 1081 à 1118), Anne Comnène, née en 1083, épousa le césar Nicéphore Bryennios et brigua en vain la couronne impériale. L'échec de ses ambitions politiques lui valut une retraite forcée qu'elle mit à profit pour reprendre un projet laissé...

  • Afficher les 111 références

Voir aussi