CAODAÏSME
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La religion caodaïste fut fondée en 1919 par Ngô Van Chiêu, délégué administratif pour l'île de Phu Quôc, dans le golfe de Siam. Adepte du taoïsme, il évoquait les Esprits supérieurs par le truchement de jeunes médiums. Il fut ainsi mis en rapport avec Cao Daï (« Palais suprême »), nom énigmatique d'un dieu nouveau, unique et salvateur. Chiêu rencontra en 1926, à Saigon, de jeunes fonctionnaires vietnamiens qui s'adonnaient au spiritisme. Les tables que ces derniers faisaient tourner seront remplacées plus tard par la « corbeille à bec » : cet accessoire divinatoire vietnamien est un panier-cloche renversé et recouvert de papier ; son ouverture est traversée par la « queue » d'une tige de bois, dont la « tête » est sculptée en forme de phénix ; enduite de chaux liquide, cette tête écrit les messages transmis par les deux médiums qui la tiennent. La ferveur de Chiêu lui attira de nombreux adeptes, mais ce succès même lui valut d'être évincé par un disciple, Lê Van Trung, conseiller colonial. Chiêu parvint cependant à recréer un centre caodaïste « hérétique » dans le riche centre agricole de Cantho, au sud-ouest de Saigon.
Trung, une fois converti, se révéla plus apte à « lancer » le caodaïsme. Il multiplia les séances spirites et recruta quelque 20 000 fidèles en moins de deux mois. Devenu « souverain pontife » l'année suivante, il fit édifier, au nord-ouest de Saigon, sur un terrain de plus de 100 hectares, près d'une piscine dont on vendra bientôt l'eau miraculeuse, l'immense cathédrale de Tây Ninh, dotée de clochers et d'un dôme d'inspiration catholique mais de style sino-vietnamien. Au fond de la haute nef à colonnes ornées de dragons s'élève, posée sur un autel, l'immense sphère lumineuse du « Globe du Très-Haut » ; cette sphère est construite en bambou et tendue d'étoffe transparente ; l'œil rayonnant de Cao Daï y figure sur un champ de nuages et d'étoiles. À l'intérieur brûle perpétuellement une lampe dont on retrouve des modèles réduits dans de très nombreux sanctuaires publics ou familiaux. Dans le temple de Tây Ninh sont offertes à la vénération les statues de Confucius, de Laozi, du Bouddha, du Christ, de Quan Vo (général chinois qui fut divinisé au iiie siècle apr. J.-C.), de Li Taibo (en vietnamien : Ly Thai Bach, grand poète taoïste chinois du viiie siècle, qui le premier inspira Chiêu et ses adeptes), de la déesse bouddhique Quan Am (en chinois : Guanyin). Jeanne d'Arc, Victor Hugo, Allan Kardec, Camille Flammarion et Sun Yat-sen sont aussi représentés et même invoqués par les caodaïstes. En 1935, reconnu coupable de malversations, le pape Trung fut déclaré déchu. Les sectes déjà nombreuses se mirent alors à proliférer à Saigon, à My Tho, à Ben Tre, au Cambodge (dans l'importante colonie de Vietnamiens de Phnom Penh), à Nha Trang (Centre-Vietnam). Leurs divers pontifes s'excommuniaient mutuellement. À la fin de la même année, Pham Công Tac, jusqu'alors « hérétique », devenait pape dans la Rome de Tây Ninh, au moment même où l'on commémorait avec faste la mort (« désincarnation ») de Trung, probablement réhabilité. Sous l'impulsion de ce nouveau pape, le caodaïsme prit un vigoureux essor. On comptera 4 millions de fidèles en 1937 (dont environ 7 000 dans le Vietnam du Nord). Aussi exerça-t-il une grande influence sur la vie économique et sociale du pays, tandis que ses chefs s'orientaient politiquement vers le Japon. En juin 1940, le gouvernement colonial français ferma les sanctuaires de Tây Ninh et des autres provinces, et déporta aux Comores les dirigeants caodaïstes. En 1945, l'occupant japonais encouragea quant à lui la levée de troupes chez les caodaïstes et les Hoa Hao. De 1945 à 1956, ces troupes, ainsi que celles des catholiques et des Binh Xuyên, constitueront des États dans l'État, avant d'être presque entièrement exterminées par le dictateur catholique Ngô Dinh Diem.
Cao Daï, l'Être suprême, s'était déjà manifesté en la personne du Bouddha et de Jésus-Christ au cours des deux grandes « périodes » antérieures. Aussi le nom complet du caodaïsme est-il Daï dao tam ky phô do, « la Grande Voie [de salut de la] 3e période du jeûne [bouddhique qui] délivre [les âmes captives aux enfers] ». Les caodaïstes nomment cette délivrance « amnistie ».
Invoqué en 1927, le poète Li Taibo révéla qu'en dépit de l'immortalité et de l'irreligion actuelles, Cao Daï subsistait et qu'il avait jadis fondé les cinq branches de la « Grande Voie » : celles du confucianisme, du culte des génies, du christianisme, du taoïsme et du bouddhisme. En raison du rapprochement spatial des peuples et de leur antagonisme croissant, de la multiplicité des religions, Cao Daï décida de les réduire à l'unité primordiale. Au sommet de la hiérarchie sacerdotale, qui exprime cette recherche de l'unité, on trouve un « souverain pontife » (Giao Tong) virtuel et un pape réel, le Hô Phap, « Gardien de la Loi [bouddhique] ». Le premier est assisté de dignitaires appartenant aux branches confucéenne, bouddhique, taoïque, respectivement vêtus de rouge, de couleur safran, de bleu ciel. Les dignitaires féminins sont vêtus, quant à eux, de robes blanches et coiffés de capuches et les prêtres portent des mitres iraniennes. Un Thuong Phân, qui oriente les âmes vers le nirvâna, et un Thuong Sanh, qui incite les fidèles à suivre la « Voie », assistent le Hô Phap. Ces trois dignitaires, qui ont chacun quatre adjoints, exercent un droit de contrôle et de justice. Les douze assesseurs sont des médiums. Tous doivent laisser pousser leur barbe et leurs cheveux, être végétariens et chastes. Les fidèles, qui se vêtent de blanc (les hommes portant le turban noir), doivent être, comme les religieux, animés de l'amour universel envers le prochain, les animaux, les plantes mêmes. Et, comme eux, ils sont tenus d'observer les cinq « défenses » bouddhiques : ne pas tuer, n'être pas avide, n'être pas carnivore, ne pas boire d'alcool, refuser la luxure et le mensonge.
Face à la « Lampe » sphérique qui figure la Monade universelle, Cao Daï, on fait tous les jours des offrandes et l'on dit des prières à six heures, midi, dix-huit heures et minuit. Puis on chante un hymne en l'honneur de Dieu et des « Trois Saints ». Lors des grandes cérémonies dans les temples, un prêtre préside aux prières et aux hymnes. Des fleurs, de l'alcool, du thé et cinq baguettes d'encens sont offerts durant le culte. Les fleurs symbolisent le « sperme », l'alcool le « souffle » vital, et le thé l'« esprit » qui, tous trois, entrent dans l'essence de l'homme. On se purifie en transformant l'énergie vitale (sperme) en énergie mentale (alcool) et celle-ci en énergie spirituelle (thé). Les cinq baguettes symbolisent l'abstinence, l'examen mental, la paix, la connaissance suprême et la délivrance, c'est-à-dire les cinq degrés de l'initiation bouddhique.
Bibliographie
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Écrit par
- Paul LÉVY : ancien directeur de l'École française d'Extrême-Orient, président honoraire de la Ve section de l'École pratique des hautes études (sciences religieuses), président fondateur de la Société des études euro-asiatiques, musée de l'Homme
Classification
Média
Autres références
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VIETNAM
- Écrit par Philippe DEVILLERS , Encyclopædia Universalis , Pierre-Bernard LAFONT , NGUYÊN TRÂN HUÂN , Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS , Matthieu SALOMON , Stéphanie SOUHAITÉ et Christian TAILLARD
- 46 752 mots
- 40 médias
C'est en Cochinchine, précisément, qu'apparaissent, en milieu rural, des mouvements politico-religieux de caractère nouveau : lecaodaïsme – religion syncrétiste de l'Esprit-Saint, dont l'animateur principal, le pape de la secte de Tayninh, est Pham Cong Tac – devient, entre 1935 et 1939, une puissance...
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