CHAMANISME
Le chamanisme doit son nom à un type de personnage religieux, le chamane (ainsi est-il nommé en toungouse – langue de Sibérie –, mentionné pour la première fois par Awakum à la fin du xviie siècle), qui, de prime abord, se signale par un comportement à la fois caractéristique et personnalisé, connu sous le nom de « transe » : il est fait de bonds, de cris, de gesticulations, parfois de tremblements, l'ensemble étant en général suivi d'une chute dans l'inertie ; il varie avec chaque chamane et, pour chacun, d'une séance à l'autre. Extravagant aux yeux des observateurs chrétiens accoutumés à une attitude religieuse recueillie, ce comportement est imputé par les sociétés intéressées au contact direct avec des êtres surnaturels ou esprits. Ce contact est considéré comme le moyen d'action du chamane, grâce auquel il assure de multiples fonctions jugées indispensables à la vie de la communauté : elles vont de l'obtention de la chance à la chasse ou de la fécondité des êtres naturels et l'appel de la pluie jusqu'à la divination ou à la voyance (y compris pour retrouver des objets perdus), à la cure ou à l'envoi de certaines maladies, et aux relations avec les morts.
Si ce type de personnage est caractéristique de sociétés archaïques où il est seul en présence (sibériennes et amérindiennes notamment), des conduites et des pratiques similaires aux siennes se rencontrent en beaucoup d'autres endroits du monde – fût-ce sous une forme fragmentaire, altérée, mêlée d'influences diverses (chrétiennes, musulmanes, bouddhiques) ou sous une forme proche des formes dites de possession, et fût-ce seulement en des occasions et à des fins marginales. Ainsi, des éléments chamaniques ont été repérés tant dans les sociétés antiques (à propos du culte dionysiaque par exemple) que dans certains milieux industrialisés contemporains (comme la Corée du Sud). Les phénomènes qualifiés de chamaniques sont donc très divers par leur contexte et par leur portée dans la vie de la société.
Un système de pensée
La diversité des phénomènes attribués au chamanisme a valu à l'étude de celui-ci bien des vicissitudes. Religion, tendaient à penser les sociologues du xixe siècle, mais comment la cerner, dépourvue qu'elle est de dogme, d'Église, de clergé et même de liturgie, à la fois quasi universelle et infiniment variable de société à société comme de chamane à chamane, associée à un mode de vie primitif et prête à resurgir aux franges des grandes religions, vulnérable au contact et capable de s'y adapter ? Disposition psychique, tranchèrent certains auteurs face à l'individualisme de la pratique – « il n'y a pas de religion chamanique, il y a seulement une sorte d'hommes », écrit Van Gennep en 1903. Mais cette sorte d'hommes fut jugée de type pathologique par les uns, qui étaient sensibles à la ressemblance du comportement chamanique avec certaines formes d'hystérie, et de type charismatique par d'autres, qui étaient frappés par la normalité du chamane en dehors des séances, par son efficacité rituelle et les responsabilités dont le charge sa communauté : comment confierait-on son destin à un fou ?
La rencontre avec la psychanalyse fit naître l'hypothèse du « fou guéri » : c'est en surmontant son trouble que le chamane devenait capable de soigner autrui, sa victoire sur la maladie étant source de charisme. Mais c'était négliger les autres fonctions du chamane : il ne fait pas que soigner, et il peut tout autant nuire ; guerre et cure sont liées entre ses mains dans de nombreuses sociétés chamanistes. En outre, c'est toujours comme croyance que les religions missionnaires ont identifié et combattu le chamanisme.
Cherchant à réconcilier tous les points de vue, Mircea Eliade, seul auteur[...]
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Écrit par
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
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