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TILLY CHARLES (1929-2008)

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Né à Lombard dans l'Illinois, aux États-Unis, Tilly étudie la sociologie aux universités de Harvard et d'Oxford, où il obtient son doctorat en 1958. Mais, durant sa carrière, il ne s'en tient pas à cette seule perspective disciplinaire. Il investit également les méthodes historiques et devient un spécialiste de l'étude des archives. Il ne s'est pas contenté de dépasser les frontières disciplinaires, il a également franchi les frontières géographiques ; ainsi la France et la Grande-Bretagne sont au cœur de ses recherches. Sociologue de formation, il est donc devenu, tour à tour historien, philosophe et politiste.

Quand il devient enseignant à la New School University, à l'université du Michigan, il se distingue déjà par son dynamisme et sa capacité à fédérer autour de lui un groupe de chercheurs. Des séminaires informels qu'il organise chez lui à la création d'un laboratoire de recherche parmi les plus actifs, il n'y a qu'un pas. Au sein de ce centre, il constitue une base de données statistiques, fournissant le matériel nécessaire à une histoire sociale sans précédent, notamment pour la France. Ses travaux saisissent à la fois la politique, l'économie et la société.

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Son parcours de chercheur tient également de l'histoire de famille. Il collabore avec son frère Richard et son épouse Louise, spécialement pour une étude comparative sur les mobilisations en France, en Italie et en Allemagne (The Rebellious Century 1830-1930, 1975), puis avec son fils Chris (Work under Capitalism, 1998). Conservant le goût du travail collectif et le sens de l'hospitalité, Tilly n'a jamais cessé de participer à des rencontres internationales réunissant des spécialistes d'histoire sociale tel que son collègue et ami Eric Hobsbawm, et d'organiser dans sa maison d'Ann Arbor des réunions dominicales de réflexion et de débat.

Avec 51 livres et plus de 600 articles académiques, Charles Tilly avait gagné la reconnaissance de la communauté scientifique internationale. Il était membre de plusieurs instituts et centres de recherche, d'une quinzaine de comités éditoriaux ou consultatifs pour des revues scientifiques, et avait obtenu de nombreux titres honorifiques. En 2008, il obtint le prix Albert Hirschman. À partir de 1996, il est nommé professeur émérite à l'université Columbia de New York. C'est dans cette ville, où il habitait le quartier du Bronx, qu'il est mort des suites d'un cancer.

Dans son ouvrage majeur publié la même année aux États-Unis et en France, La France conteste de 1600 à nos jours (The Contentious French, 1986), Tilly forge le concept clé de « répertoire d'action collective », qui va stimuler l'ensemble des études relatives aux mobilisations et aux mouvements sociaux. Cette notion peut d'ailleurs se compléter par celle de « structure des opportunités politiques » de son disciple et ami, Sidney Tarrow, ou encore celui des « cadres » dans la théorie interactionniste.

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Tilly conçoit le concept de répertoire d'action à partir du répertoire au sens musical. Mélomane, il utilise la métaphore du jazz pour rendre compte des modes d'action dont dispose un groupe à un moment donné. Ce groupe connaît plus ou moins les règles pour agir, mais il peut improviser et composer avec elles. Ce concept lui permet d'étudier les différentes formes de protestation possibles et les choix qu'effectue un groupe pour sélectionner un ou plusieurs modes d'action, parmi ceux qui lui sont accessibles. Ce choix s'avère contraint, mais non déterminé. En examinant les formes de contestations du xiie au xxe siècle, Tilly relève que ces dernières sont relativement stables jusqu'à la fin du xviiie siècle, mais qu'à partir du milieu du xixe siècle, dans un contexte de nationalisation de la vie politique, elles se transforment. Il intègre ainsi le temps long dans les mouvements protestataires, fussent-ils de courte durée. Ce solide cadre théorique offre les conditions de possibilités d'une comparaison des répertoires dans l'espace et dans le temps.

Une des principales formes des mobilisations sociales, la grève, est disséquée par Tilly. Il produit ainsi un ouvrage de référence, encore aujourd'hui, sur les grèves en France, à partir d'une étude sérielle d'archives nationales et départementales. Cet appareil statistique basé sur 100 000 grèves, et plus particulièrement sur 18 000 d'entre elles, montre la distribution spatiale des grèves à diverses époques et s'attache à comprendre les évolutions de la conflictualité ouvrière à l'ère industrielle. Il met ainsi en exergue le rôle du syndicalisme, et plus exactement, les relations des syndicats avec l'État dans les dynamiques contestataires. La conflictualité de plus en plus rationalisée apparaît corrélée au contexte organisationnel. Souvent assimilé au marxisme, ce dernier s'en distingue pourtant. Chez Tilly, c'est en effet l'artisanat et non la grande industrie qui est porteuse de mobilisations.

Dans Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution (2008, trad. franç. de The Politics of collective violence, 2003), écrit avec Sidney Tarrow, il fournit un exemple du va-et-vient entre théorie et empirie, en travaillant son hypothèse du conflit comme moteur de l'action politique à partir de cas aussi divers que ceux des colons israéliens de la bande de Gaza ou de l'attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center.

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Hormis Contrainte et capital dans la formation de l'Europe 990-1990 (1992, trad. franç. de Coercion, capital, and European States, AD 990-1990, 1990), un autre de ses ouvrages majeurs faisant la généalogie de l'État, le reste de son œuvre est moins connue du grand public, faute d'être traduite. C'est notamment le cas de Credit and Blame (2008), où Tilly aborde, dans le prolongement de sa sociologie historique de l'État, les dimensions morales de la vie en société et s'intéresse aux réputations, aux rapports des citoyens avec l'État, à ceux de l'État-nation avec la violence.

— Ludivine VANTHOURNOUT

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Écrit par

  • : doctorante en sciences politiques, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, CRPS, allocatrice de recherche de l'Assemblée nationale

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Autres références

  • MOBILISATION DES RESSOURCES

    • Écrit par
    • 3 813 mots
    Si le livre d’Oberschall complexifie la mobilisation des ressources, c’est àCharles Tilly que l’on doit d'avoir réintroduit la dimension politique de la mobilisation, au point qu'on a pu voir en lui non pas un théoricien de la mobilisation des ressources mais l'inventeur d'un nouveau modèle, celui...

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