CLUNY
Cluny, abbaye bourguignonne de l'ancien diocèse de Mâcon (aujourd'hui de celui d'Autun, Saône-et-Loire), a joué un rôle majeur dans le renouveau monastique français des xe et xie siècles. Ce ne fut certes pas le seul foyer de réforme : Fleury-sur-Loire, Saint-Bénigne de Dijon, les abbayes de Gorze, Metz, Toul et Verdun, et d'autres encore, ont aussi puissamment contribué au relèvement général. Mais Cluny eut le rayonnement le plus étendu et le plus durable. L'organisation de la vie religieuse y avait atteint une perfection telle qu'un « non-clunisien », le cardinal-légat Pierre Damien, pouvait légitimement qualifier Cluny d'« incomparable ».
Au sommet de sa puissance, Cluny se dotera du cadre artistique le plus impressionnant de l'époque romane. La plus vaste église chrétienne du Moyen Âge ne fut achevée qu'à l'orée de l'époque gothique, au moment même où les bâtisseurs cisterciens imprimaient à la pierre leur austère doctrine.
L'ordre de Cluny
Une prospérité rapide
Le 2 septembre 909 (la date de 910 traditionnellement adoptée est due à une erreur dans le calcul de l'indiction), le duc d'Aquitaine, Guillaume III, donna la villa de Cluny à Bernon, abbé de Baume (Baume-les-Messieurs, Jura) pour y fonder un monastère de douze moines vivant sous la règle de saint Benoît, sans être soumis à d'autre juridiction, ecclésiastique ou laïque, que celle du pape. Grâce à la protection pontificale qui s'affirma sans relâche, à la valeur exceptionnelle de ses abbés et à son heureuse situation aux confins de l'Empire, l'abbaye de Cluny prospéra vite, au point de constituer le premier groupement qui, dépassant les conceptions de la règle de saint Benoît, rassembla sous une autorité unique un grand nombre de monastères.
Au premier abbé Bernon († 927) succédèrent Odon († 942) puis Aymar († 965), dont l'abbatiat fut de courte durée et qui fit élire Maïeul, abbé de 948 à 994. Cette élection inaugurait une période de cent cinquante ans au cours de laquelle Cluny eut à sa tête des hommes remarquables. Odilon (abbé de 994 à 1049) et Hugues (1049-1109) conduisirent l'ordre à son apogée. On estime à 1 184 le nombre de monastères clunisiens à cette époque, dont 883 pour les provinces françaises, 99 pour l'Allemagne et la Suisse, 44 pour l'Angleterre, 54 pour la Lombardie, 31 pour l'Espagne. Ces chiffres pourtant considérables ne donnent qu'une idée incomplète de l'activité de Cluny et de son influence, qui s'exerça aussi bien sur de nombreuses abbayes restées indépendantes que sur le gouvernement de l'Église, à une époque où la papauté traversait une des crises les plus graves de son histoire, qu'en politique, car les grands abbés de Cluny étaient écoutés de l'empereur et des princes.
L'esprit de Cluny
Inlassablement, les dirigeants de l'ordre rappelaient que les principaux devoirs du moine étaient d'assurer l'office divin, de pratiquer l'hospitalité et l'aumône. Ils cherchaient à réformer les monastères selon ces principes et, pour en assurer l'observation, ils les annexèrent à leur ordre. Bien qu'ils aient adopté pour leur vie conventuelle les règlements laissés par saint Benoît d'Aniane, l'organisateur du monachisme carolingien, les clunisiens se préoccupèrent moins des activités extérieures qui avaient jusqu'alors retenu l'attention des moines : ils reléguèrent à une place secondaire l'instruction des enfants, l'étude et l'art, ce qui ne les empêcha pas d'ailleurs de constituer une des plus belles bibliothèques médiévales, de compter parmi eux de remarquables écrivains et de réaliser des merveilles architecturales, mais sans qu'on puisse parler dans aucun de ces secteurs d'une école clunisienne. Cette constatation est spécialement valable[...]
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Écrit par
- Jacques DUBOIS : moine bénédictin, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Carol HEITZ : professeur d'histoire de l'art du Moyen Âge à l'université de Paris-X et au Centre d'études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers
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