CONSCIENCE
La conscience et le cerveau
Les difficultés du problème des rapports de la conscience et du cerveau sont celles des rapports du « physique et du moral », de la matière et de l'esprit. Elles sont insurmontables dès que l'on tient le cerveau pour une chose et la conscience pour une pure spiritualité. Ce qui vient d'être dit de l'être conscient, de la multiplicité de ses structures, de son organisation dynamique, qui est comme un instrument de cette sorte de dialectique qui rapporte l'un à l'autre le haut et le bas, l'inconscient et le conscient, permet déjà d'entrevoir que, si l'« isomorphisme » (c'est-à-dire l'identité) du cerveau et de la conscience ne peut être pensé sur le modèle d'un simple décalque de l'un à l'autre, qui en supprimerait la dualité relative, les modèles architectoniques de l'un et de l'autre peuvent les articuler dans et par un mouvement dialectique, qui assure leur intégration réciproque, sans les assimiler purement et simplement l'un à l'autre. Car, d'une part, le cerveau, tel qu'il commence à être connu, n'est ni un objet, ni une machine, étant donné qu'il est animé lui-même par la finalité de l'organisme qu'il contrôle par l'effet d'une boucle de réverbération (d'autogouvernement) ; et, d'autre part, la conscience, telle qu'elle vient d'être décrite, implique, elle aussi, en tant que structure hiérarchisée de l'être conscient, une réflexion réciproque du supérieur sur l'inférieur.
L'impasse dualiste
Une telle « réflexion » permet de comprendre que le fameux problème constitué par la recherche d'un « centre de conscience » dans le cerveau est complètement dépassé ; ainsi qu'on le verra, il est annulé par cette nécessité d'un modèle circulaire, qui figure la réciprocité des rapports de l'organe cérébral et de l'être conscient.
C'est dans le schéma darwinien et spencérien de la superposition des stades de l'évolution et des segments du système nerveux que l'idée d'un centre de la conscience s'est imposée en même temps qu'elle s'engageait ainsi dans l'impasse de la concomitance. Pour H. Jackson, en effet, père de toutes les théories neurophysiologiques des Temps modernes, le modèle du système nerveux était essentiellement moteur ou sensori-moteur, ou encore réflexe ; de telle sorte, il serait constitué par une série verticale de centres superposés, dont chacun contrôlerait les instances ou centres inférieurs. De proche en proche, Jackson en est arrivé, en avril 1887, à examiner les highest levels de l'activité nerveuse ; pour lui, ils ne pouvaient être autre chose que les centres du lobe préfrontal (occupant à l'extrémité de l'axe cérébro-spinal une position supérieure, « télencéphalique »). Ce sont, disait-il, ces centres « sensori-moteurs supérieurs » (au pluriel) qui sont l'organ of mind. Mais, bien entendu, aux yeux de ce grand neurologiste spiritualiste, ces centres ne pouvaient être que des instruments au service de l'esprit (they are for mind) ; il niait (this I deny), en effet, que ces highest cerebral centers, qui sont « la base physique de l'esprit », puissent être considérés comme constituant l'esprit ou la conscience « elle-même », laquelle, précisait-il, n'est pas une fonction du cerveau. Et c'est ainsi que le modèle jacksonien des rapports du cerveau et de la conscience est resté celui de la « concomitance », notion dualiste ou paralléliste reprise par la plupart des neurophysiologistes (de Sherrington à Eccles), à qui elle assure une confortable position de « repos métaphysique » à l'abri du dualisme cartésien.
Mais cette idée de « centre de la conscience » (sorte de cellule[...]
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Écrit par
- Henri EY : ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris, médecin chef à l'hôpital psychiatrique de Bonneval
Classification
Média
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