KAHNEMAN DANIEL (1934-2024)
En attribuant le prix Nobel 2002 conjointement à un économiste, Vernon Smith, et à un psychologue, Daniel Kahneman, l'Académie royale des sciences de Suède confirmait une tendance, amorcée avec la distinction d'Amartya Sen en 1997 : récompenser des travaux interdisciplinaires qui rapprochent l'économie des sciences sociales et qui, de surcroît, s'éloignent du paradigme traditionnel hérité de la théorie néo-classique (marchés parfaits, rationalité parfaite des agents, etc.).
Daniel Kahneman, Israélo-Américain, doit sa distinction au fait « d'avoir introduit en sciences économiques des acquis de la recherche en psychologie, en particulier concernant les jugements et les décisions en incertitude ». Lui et son colauréat Vernon Smith, récompensé pour sa contribution à l'économie expérimentale, ont en commun de considérer que la science économique est confrontée à des processus de décision complexes, imprévisibles et non modélisables.
Daniel Kahneman est né à Tel-Aviv (Israël) en 1934. À l'université hébraïque de Jérusalem, il reçoit une formation en psychologie et en mathématiques, mais c'est à l'université de Berkeley (Californie) qu'il obtient en 1961 son doctorat de psychologie. Il revient enseigner à l'université de Jérusalem jusqu'en 1978 avant de rejoindre celle de Colombie-Britannique, à Vancouver, entre 1978 et 1986. Suivent sept années durant lesquelles il est professeur à Berkeley. Depuis 1993, Kahneman est professeur de psychologie à l'université de Princeton (New Jersey) et enseigne également les affaires publiques à la Woodrow Wilson School.
Le nombre impressionnant d'articles (près de 140) et d'ouvrages qu'il a publiés à partir des années 1960 lui a valu, bien avant l'attribution du Nobel, de prestigieuses récompenses. En 1995, il a reçu la médaille Howard Crosby Warren décernée chaque année par la Société des psychologues expérimentaux, ainsi que le prix Ernest R. Hilgard pour l'ensemble de ses travaux sur la psychologie générale. Il est par ailleurs membre de la Société d'économétrie, de l'Académie nationale des sciences et participe à de nombreuses associations de psychologues, tant canadiennes qu'américaines.
Le travail de Kahneman a contribué à tisser des liens entre la science économique et la psychologie dite cognitive qui étudie les constructions mentales par lesquelles chaque individu prend des décisions qui tiennent compte de son environnement. En utilisant les outils des sciences comportementales pour tester la validité du postulat néo-classique de la rationalité économique, Kahneman a jeté un pont entre ces deux disciplines.
Bien avant lui, d'autres auteurs ont montré toute la distance qui peut exister entre un choix individuel et un résultat mathématique apporté par le calcul des probabilités. Nicolas Bernoulli (1695-1726) avait déjà développé l'idée connue sous le nom de « paradoxe de Saint-Pétersbourg » que le choix rationnel d'un individu n'est pas forcément celui qui offre la plus forte espérance de gain. Dans les années 1950, de nombreux théoriciens, à commencer par le Français Maurice Allais, prix Nobel d'économie en 1988, avaient eux aussi remis en question la représentation traditionnelle en économie de la prise de décision en situation d'incertitude. Ils mettaient en évidence diverses situations dans lesquelles les agents économiques ne faisaient pas des choix cohérents seulement dictés par un calcul entre des probabilités et des niveaux d'utilité ou de satisfaction correspondant à des événements alternatifs.
L'ensemble de ces contributions sur l'analyse des comportements irrationnels est connu de Daniel Kahneman quand, à partir des années 1970, il s'engage dans une collaboration très fructueuse avec Amos Tversky ; ce dernier lui[...]
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Écrit par
- Françoise PICHON-MAMÈRE : maître de conférences, université Paris-Sorbonne
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