DARDENNE JEAN-PIERRE (1951- ) et LUC (1954- )
Il est devenu impossible d'aborder le travail de ces deux réalisateurs belges sans les situer d'emblée sur la scène du cinéma international – celle du festival de Cannes, où ils reçurent par deux fois la palme d'or, en 1999 pour Rosetta et en 2005 pour L'Enfant, et par la suite le prix du scénario, en 2008, pour Le Silence de Lorna, et le grand prix, en 2011, pour Le Gamin au vélo.C'est pourtant dans l'indifférence au battage médiatique que les frères Dardenne ont défini leur art. Au moment de recevoir leur seconde palme d'or, ils ont publié un livre, Au dos de nos images (2005), écrit par Luc Dardenne en leurs deux noms et qui résonne, dès les premières pages, comme une profession de foi : « Habiter un petit pays comme le nôtre. Ne pas fréquenter le milieu du cinéma. L'isolement nécessaire ». Et encore : « ce qui importe pour un film, c'est d'arriver à reconstruire de l'expérience humaine ».
Écouter, résister
À quelques kilomètres de Seraing, ville industrielle de la province de Liège où ils tourneront tous leurs longs-métrages, les Dardenne grandissent dans le village d'Engis. Jean-Pierre y vient au monde le 21 avril 1951. Luc naît le 10 mars 1954 dans la commune voisine des Awirs. Il évoque le décor de leur enfance, décisif pour leurs préoccupations futures : « Engis a longtemps été le village le plus pollué d'Europe. Dans les années 1930, trois personnes y sont mortes d'intoxication. Sartre le mentionne dans La Critique de la raison dialectique comme une illustration des contradictions du capitalisme. Les gens du village se sont énormément battus pour améliorer leurs conditions de vie. » Leur père, dessinateur industriel, leur donne une éducation régie par les principes de la religion et de la morale catholiques, contre lesquels ils se rebelleront à l'adolescence. « Ces principes étaient trop stricts pour notre génération. Mais notre maison était ouverte. Notre mère faisait toujours à manger pour une bouche supplémentaire, et si un colporteur passait dans la rue, mon père l'invitait à entrer. Nos parents avaient cette générosité. Cela nous a sans doute influencés beaucoup », explique Jean-Pierre Dardenne.
Peu après la fin de leurs études secondaires, les deux frères font une rencontre capitale : celle du dramaturge, poète et metteur en scène Armand Gatti. Jean-Pierre, qui suit des cours d'art dramatique à Bruxelles pour devenir comédien, joue dans deux de ses pièces, La Cigogne et La Colonne Durruti (1972), avant de devenir son assistant en 1973. Luc quitte bientôt l'université de Liège où il étudiait pour le rejoindre. Auprès de Gatti, tous deux découvrent un rapport vivant à la création, un regard sur l'Homme, et comprennent qu'une voie s'ouvre à eux, qu'ils peuvent suivre ensemble. C'est aussi en travaillant avec Gatti qu'ils s'intéressent à la vidéo, dont ils vont faire leur outil, d'abord pour recueillir la mémoire du mouvement ouvrier dans leur région. À travers plusieurs courts et moyens-métrages, notamment sur la résistance opposée aux nazis (Le Chant du rossignol, 1978), et sur le mouvement social de l'hiver 1960 en Belgique, baptisé par les historiens « la grève du siècle » (Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois, 1979), ils affirment ce qui fonde leur œuvre. D'une part, la volonté de donner une image à ceux qui luttent contre l'oppression, qu'elle soit politique ou, surtout, économique. D'autre part, le goût du portrait. Signe d'une attention vive pour ceux qu'ils filment, il va marquer leurs longs-métrages de cinéma.
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
Classification
Média
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