DÉCROISSANCE
En ces temps de crises mondiales, l'apparition ou la réapparition de certains mots dans le débat public prend valeur de symbole. Au côté de nationalisation, de relocalisation, de démondialisation, ou encore de protectionnisme et d'oligarchie, le terme décroissance fait partie de ces mots restés longtemps imprononçables et inaudibles, voire impensables. Mais le temps n'est plus où les dogmes de la finance régnaient sans partage sur le débat économique. Qu'une idée aussi peu orthodoxe que celle de décroissance sorte du cadre confidentiel où elle était confinée signifie qu'une fraction croissante de citoyens ne croit plus au modèle économique dominant dans nos sociétés. Certes la messe continue, mais les articles de foi sont désormais questionnés avec de plus en plus d'insistance.
On fait souvent remonter l'idée de décroissance à un fameux rapport de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) commandité par le Club de Rome en 1971, intitulé The Limits To Growth. Ce n'est pas tout à fait exact, ce rapport ayant été précédé de plusieurs travaux analogues qui mettent directement ou indirectement en cause la croissance. On peut notamment citer deux essais publiés en 1948, Road To Survival de William Vogt et Our Plundered Planet de Fairfield Osborn, et bien sûr The Population Bomb d'Ann et Paul Ehrlich, paru vingt ans plus tard. Mais le rapport Meadows (du nom de deux de ses quatre auteurs) est un bon repère, car, dans sa forme, il a provoqué de nombreuses réactions, qui posaient bien déjà les termes du débat, dans le contexte de la première crise du pétrole et de l'apparition timide des préoccupations écologiques.
Les thèses en présence
Le rapport Meadows est pour l'essentiel constitué d'une compilation de données mondiales sur les ressources naturelles, la population, les pollutions, la qualité de vie et l'investissement en capital, des variables qui sont pour la première fois mises en relation par simulation informatique. En faisant varier les hypothèses, différents avenirs possibles sont explorés ; l'un d'entre eux prévoit la découverte d'une énergie propre, gratuite et illimitée. La conclusion générale est que la croissance connaîtra des limites, tôt ou tard, quel que soit le scénario. Le rapport rencontre l'opposition des pays en développement. Lors du Sommet de Stockholm sur l'environnement humain en 1972, organisé par les pays développés pour évoquer la question de l'augmentation des pollutions, leur position est claire : la pollution est un problème de riches, qui consomment énormément. Si la situation est grave, alors les pays riches doivent agir en premier, laissant aux pays en développement l'espace qui leur est nécessaire pour se développer.
Le rapport rencontre aussi les objections du milieu savant. En 1973, l'université du Sussex publie un rapport intitulé L'Anti-Malthus, qui reproche au rapport du MIT d'avoir sous-estimé le potentiel à venir de la technologie ainsi que d'avoir exagéré le caractère nocif de certains produits, notamment les pesticides. La même année, l'économiste américain William Nordhaus estime que le problème est moins la ressource naturelle que le capital et le travail, qui permettent d'accéder à des ressources très abondantes comme l'énergie nucléaire (par fission et, un jour sans doute, par fusion), dont il estime les réserves à au moins 1 000 fois la totalité des réserves fossiles. Il soutient que le nucléaire pourra alimenter les automobiles pendant « au moins 100 millions d'années ». N'est-il pas risqué d'être aussi optimiste ? Nordhaus répond que rien ne presse, que nous avons cent ans pour trouver. En attendant, nous devons optimiser l'exploitation des énergies fossiles. Nordhaus reçoit le soutien du futur Prix Nobel, Robert Solow, dans un article de synthèse qui rappelle la[...]
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Écrit par
- Fabrice FLIPO : professeur à l'Institut Mines Télécom
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