DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE
Article modifié le
Les premiers partis catholiques
Les premiers partis catholiques naissent dans des pays où un conflit religieux devient un enjeu politique. Le Zentrum (le Centre) allemand a pour ancêtre un « groupe catholique » qui se constitue à la diète prussienne en 1852. Créé en 1870, il adhère sans réserve au libéralisme politique, obtenant 18,6 p. 100 des suffrages et cinquante-sept sièges aux premières élections suivant l'unité allemande, en 1871. Le Kulturkampf de Bismarck le renforce (27 p. 100 des voix en 1881), puis, avec l'apaisement religieux, les résultats baissent ; en 1912, il obtient 16,4 p. 100 des voix et environ 55 p. 100 de celles des catholiques allemands. Le Zentrum a échoué dans son dessein de s'ouvrir aux protestants. Le parti, qui n'aura pas de responsabilités gouvernementales sous l'Empire, représente l'éventail complet du catholicisme allemand, allant de l'aristocratie terrienne aux classes moyennes urbaines et aux syndicalistes. Il montre son indépendance vis-à-vis de Rome lorsqu'il vote, en 1887, contre le budget de l'armée, malgré la demande expresse de Léon XIII qui espérait ainsi améliorer les relations du Saint-Siège avec l'Allemagne. Plus tard, le Zentrum soutient le gouvernement durant la Première Guerre mondiale et devient, avec le Parti social-démocrate, l'un des deux piliers de la république de Weimar, à laquelle il fournit neuf chanceliers sur vingt et le tiers de ses ministres. Peu touché par la montée du nazisme, qui s'appuie surtout sur les voix protestantes, le Zentrum vote, le 23 mars 1933, les pleins pouvoirs à Hitler et sera dissous avec tous les autres partis, à l'exception de celui qui est au pouvoir, le 14 juillet 1933.
En Italie, la question romaine amena d'abord le Saint-Siège à imposer aux catholiques leur non-participation à la vie politique nationale : « ni électeurs, ni élus ». Mais la consigne tombe en désuétude après 1909. Fondé en 1919 par un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo, le Parti populaire italien (P.P.I.), parti démocratique d'inspiration chrétienne et non confessionnel, obtient, en 1919 et 1921, 20 p. 100 des voix et plus de cent députés. Il s'allie dans un premier temps aux libéraux puis, malgré de sérieux remous internes, apporte son soutien aux premiers gouvernements de Mussolini de 1921 à 1923. Une aile favorable à la collaboration avec le fascisme le quitte. Plus grave, il est abandonné par le Saint-Siège. Passé à l'opposition, le P.P.I. sera dissous en 1926. Handicapé par l'inexpérience de ses dirigeants, le P.P.I. fut un grand parti populaire recueillant de très nombreuses voix ouvrières et paysannes et tâchant de mener une politique démocratique d'inspiration chrétienne sans compromettre la papauté ni engager l'Église. Mais, comme l'écrit Jean-Marie Mayeur, « l'aval de Rome permit sa naissance ; son désaveu, sa mort ». Aucun parti démocrate-chrétien ne fut à ce point dépendant de la papauté.
En Belgique, le Parti catholique est, après plusieurs tentatives, créé en 1884. Il parvient à fédérer de multiples associations catholiques. En 1921, il change son nom en Parti catholique belge auquel adhèrent quatre organisations socioprofessionnelles ou standen : la Ligue démocratique chrétienne, qui rassemble les travailleurs ; les associations catholiques flamandes et wallonnes ; la Fédération des classes moyennes ; la Fédération des associations et cercles catholiques. Première formation du pays de 1919 à 1940, avec en moyenne 37 p. 100 des suffrages, le parti occupe en quasi-permanence le poste de Premier ministre et gouverne en coalition avec les libéraux ou, plus rarement, avec les socialistes. Aux Pays-Bas, il existe des partis catholique et protestant. Le parti catholique, avec 30 p. 100 des voix, obtient 80 p. 100 de celles des baptisés. À partir de 1918, les partis confessionnels gouvernent ensemble et s'appuient sur un vaste réseau d'organisations sociales, syndicales et religieuses.
Dans l'Empire austro-hongrois des partis catholiques et sociaux-chrétiens se forment vers 1900. Après 1918, ils exerceront fréquemment des responsabilités gouvernementales. En Bohême et Moravie, le Parti populaire est un parti démocrate-chrétien, alors que son homologue slovène se rapprochera d'un nationalisme profasciste. Les sociaux-chrétiens autrichiens acceptent en 1919 la république démocratique, mais l'orientation sera de courte durée, et au sein du parti, dont le principal dirigeant est le chancelier, Mgr Seipel, les courants corporatistes et autoritaires gagneront du terrain. Antinazi, son successeur, Dollfuss, met le Parlement en vacances, en 1933, et établit, en 1934, un État autoritaire. Le Parti social-chrétien autrichien est un exemple de la distance qui sépare certains partis catholiques même « sociaux » de la démocratie chrétienne et de la démocratie tout court.
En France, la démocratie chrétienne dispose d'un patrimoine doctrinal d'importance, mais a du mal à s'imposer sur le plan politique, les catholiques votant massivement pour les partis situés à droite de la démocratie chrétienne, partis au demeurant non catholiques mais socialement conservateurs. Faiblement appuyé par le clergé, le Parti démocratique chrétien disparaît, entraîné par la marée nationaliste qui secoue les milieux catholiques avec l'affaire Dreyfus. Le ralliement des catholiques à la république, en 1890, entraîne la création d'un parti catholique de droite, l'Action libérale populaire de Jacques Piou et Albert de Mun. Cette formation aura une quarantaine de députés dans les années 1900, siégera à droite, dans l'opposition, pour disparaître en 1919 au profit de la Fédération républicaine, parti conservateur non confessionnel. Le Sillon de Marc Sangnier réunit de nombreux militants et dispose d'un vaste réseau de publications. Condamné par Pie X, en 1910, accusé d'être trop démocratique, ce mouvement mi-apostolique, mi-politique aura formé de nombreux cadres qu'on retrouvera entre les deux guerres dans les partis démocrates-chrétiens. Ces derniers sont trois. La Jeune République, fondée par Marc Sangnier en 1912, représente la gauche catholique de l'époque. Recrutant surtout chez les enseignants et les employés, à mi-chemin entre le parti politique et le groupe de pensée, elle aura, au plus, quatre députés et adhérera au Front populaire en 1935. Le Parti démocrate-populaire, créé en 1924, dont les principaux responsables sont Auguste Champetier de Ribes et Paul Simon, est un vrai parti politique, avec un groupe parlementaire à la Chambre, une vingtaine de députés, dix mille adhérents et une ligne politique de centre droit. Enfin, les démocrates-chrétiens alsaciens créent l'Union populaire républicaine, bien organisée, fortement autonomiste, dont la dizaine de députés ont du mal à se situer sur l'échiquier politique français. Les trois partis ont en tout quelque 30 députés sur 584 et reçoivent 3 p. 100 des voix, surtout dans l'Est et dans l'Ouest. Un quotidien, L'Aube, fondé en 1932, aura une certaine influence.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre LETAMENDIA : maître de conférences de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - République fédérale d'Allemagne jusqu'à la réunification
- Écrit par Alfred GROSSER et Henri MÉNUDIER
- 16 395 mots
- 10 médias
La démocratie chrétienne allemande se compose de deux branches qui forment cependant un groupe parlementaire commun au Bundestag, mais elles sont juridiquement et politiquement distinctes. L'Union chrétienne-démocrate (C.D.U.) existe dans tous les Länder, sauf en Bavière où l'Union chrétienne sociale... -
AMÉRIQUE LATINE - Rapports entre Églises et États
- Écrit par Jean Jacques KOURLIANDSKY
- 6 743 mots
- 2 médias
...plénier latino-américain. Cette inflexion fut confirmée par Jean XXIII, initiateur du deuxième concile du Vatican en 1962, et par son successeur Paul VI. Des militants catholiques engagés dans le monde ont alors obtenu les premières victoires électorales de la démocratie-chrétienne latino-américaine au... -
AUTRICHE
- Écrit par Roger BAUER , Jean BÉRENGER , Annie DELOBEZ , Encyclopædia Universalis , Christophe GAUCHON , Félix KREISSLER et Paul PASTEUR
- 34 129 mots
- 21 médias
...catholicisme politique. L'Ö.V.P. déclare rassembler les électeurs conservateurs chrétiens, tout en s'inscrivant dans la tradition du partenariat social. Depuis 1995, l'Ö.V.P. se présente comme « un parti chrétien-démocrate, un parti de l'État de droit libéral et de la société ouverte, un parti de l'économie... -
BEERNAERT AUGUSTE (1829-1912)
- Écrit par Jean-Marie MAYEUR
- 637 mots
Fils d'un fonctionnaire de l'Enregistrement, Auguste Beernaert fait des études à l'université de Louvain, puis poursuit une carrière d'avocat à Bruxelles. Il fait partie du conseil de surveillance du journal libéral L'Étoile belge, mais ne joue pas de rôle politique...
- Afficher les 33 références
Voir aussi
- CENTRE ALLEMAND LE, all. ZENTRUMSPARTEI
- FORUM DÉMOCRATIQUE HONGROIS (MDF)
- ALLEMAGNE RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D' (RFA), histoire, de 1945 à 1989
- CONFESSIONNELLES FORMATIONS SOCIO-POLITIQUES
- PSC (Parti social chrétien), Belgique
- CDU (Christlich-demokratische Union) ou PARTI DÉMOCRATE CHRÉTIEN, parti politique
- AMÉRIQUE CENTRALE
- SAINT-SIÈGE
- CENTRE DÉMOCRATE
- AUTRICHE, histoire jusqu'en 1945
- AUTRICHE, histoire, de 1945 à nos jours
- BELGIQUE, histoire, de 1830 à 1945
- BELGIQUE, histoire, de 1945 à nos jours
- DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE (DC), Italie
- HONGRIE, histoire, de 1945 à nos jours
- ITALIE, histoire, de 1870 à 1945
- ITALIE, histoire, de 1945 à nos jours
- ALLEMAGNE RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D' (RFA), histoire depuis 1990
- POLOGNE, histoire, de 1945 à nos jours
- CSU (Christlich-soziale Union)
- FRANCE, histoire, de 1939 à 1958
- FRANCE, histoire, de 1974 à nos jours
- FRANCE, histoire, de 1871 à 1939
- ESPAGNE, histoire, de 1900 à nos jours
- ALLEMAGNE, histoire, de 1806 à 1945
- PPI (Partito popolare italiano) ou PARTI POPULAIRE ITALIEN
- ÉGLISE HISTOIRE DE L', du concile de Trente à nos jours
- CDS (Centre des démocrates sociaux)
- POLITIQUES MOUVEMENTS