ÉCHANGE
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Au sens général, le terme « échange » s'applique à tout mouvement d'intention réciproque entre deux parties. En économie, on appelle « échange » les différents modes de transferts de biens et de services exécutés en contrepartie et en équivalence les uns des autres.
L'échange économique n'est pas un phénomène universel. Il n'intervient pas entre les membres des communautés produisant pour elles-mêmes et au sein desquelles les rapports de production se confondent avec des rapports de dépendance personnelle. Son apparition et sa généralisation s'accompagnent de la dissolution de ces rapports de personnes et de la mise en place de nouveaux rapports sociaux et juridiques indispensables à son développement : division du travail, contrat, propriété.
Les échanges atteignent leur plein développement dans la société capitaliste, où la totalité des biens produits leur sont destinés.
Le caractère historique de l'échange est sujet à controverse. Les économistes classiques considèrent que l'échange est un phénomène universel, inhérent à la nature humaine, existant à différents degrés dans toutes les sociétés, et qu'il y obéit aux mêmes lois. D'autres auteurs estiment au contraire que l'échange, phénomène social autant qu'économique, distingue, radicalement ou qualitativement, les sociétés où il intervient des formations sociales archaïques ou antiques. Cette thèse, déjà formulée par Aristote, et qui a trouvé appui sur le matérialisme historique, tend à être confirmée par les découvertes de l'anthropologie économique contemporaine.
Historique de l'échange
Genèse
Dans les sociétés où la production est orientée vers la satisfaction des besoins des membres du groupe producteur, une part importante des biens, sinon leur totalité, circule selon des modalités de transfert qui reflètent le statut des parties en cause.
Parmi les hordes égalitaires des « chasseurs-collecteurs », les produits obtenus par le travail collectif ou individuel sont l'objet d'un partage, qui délie les producteurs de toute obligation réciproque et n'engage aucun rapport de domination ou de subordination entre producteur et non-producteur (Turnbull, 1965 ; Meillassoux, 1968).
Dans les sociétés agricoles fondées sur la cellule de production familiale (communauté primitive, oïkos, économie domestique, lignagère ou patriarcale), les biens et les services circulent le long des réseaux de parenté ou d'alliance, par prestation, redistribution ou don. En référence au statut respectif des parties, ces transferts sont orientés : ils sont prestataires (tribut, corvée) lorsque les biens circulent du niveau social inférieur au niveau supérieur ; redistributifs, lorsqu'ils circulent de haut en bas ; paritaires, lorsqu'ils ont lieu entre pairs.
Dans un tel mode de circulation, les biens ne sont jamais confrontés entre eux et ne possèdent qu'une valeur d'usage. En revanche, ils tendent à acquérir un contenu social en étant associés, en raison de leur provenance, de leur valeur en travail ou de leur apparence, à une fonction et (ou) à un statut hiérarchique (ainsi en est-il par exemple des biens matrimoniaux, dont les transferts sanctionnent les mariages, ou des insignes royaux ou regalia). Dans ces conditions, la circulation des biens agit sur le statut des parties en présence, soit en le confirmant (cas des prestations par lesquelles les rapports de subordination sont réaffirmés), soit en les altérant (cas de remise par un supérieur d'un insigne ou d'un bien de prestige). Entre pairs, ils signifient l'alliance lorsqu'ils sont réciproques, le défi lorsque cette réciprocité est mise en cause. Il se constitue ainsi des sphères de circulation où ne permutent que des biens ayant un contenu social comparable, sans qu'il y ait convertibilité admise d'une sphère à l'autre (Meillassoux, 1960). Ces mécanismes, qui fonctionnent dans les sociétés segmentaires à faibles effectifs, persistent à côté de l'échange dans des formations politiques complexes. Ils accompagnent parfois le développement d'organisations politiques puissantes et centralisées, au sein desquelles ils constituent le mode de circulation dominant. Ainsi en était-il de l'Égypte pharaonique ou de l'Empire inca, où la plus grande partie des biens circulait par voie de prestations et de redistributions.
L'échange apparaît généralement entre économies complémentaires ou par le contact des communautés avec les représentants d'économies marchandes. Les premiers échanges ont tendance à revêtir des aspects cérémoniels hérités des manifestations de prestige (malaki, bilaba ; Balandier, 1961). Puis des relations directes entre producteurs s'établissent par l'institution du marché, lieu fixe où se confrontent périodiquement les produits destinés à l'échange. Le commerce se fait par l'intermédiaire de colporteurs ou de négociants qui, pénétrant dans les interstices des communautés, suscitent l'échange avec les représentants de celles-ci. Le commerce risque de perturber le système de circulation des biens à l'intérieur des communautés et, avec lui, les rapports de dépendance dont ils sont la manifestation. L'échange, lorsqu'il ne peut être rejeté, est donc d'abord réservé aux chefs des communautés, le mode de circulation des biens à l'intérieur de celles-ci demeurant préservé. Lorsque la communauté correspond à une formation politique large, le souverain cherche à conserver des droits exclusifs sur les biens destinés à l'échange, droits qui entraînent généralement un contrôle sur leur production et un monopole ; ainsi en est-il, par exemple, dans l'ancien royaume du Dahomey (Herskovits, 1938 ; Polanyi, 1966).
Formes et modalités
Selon qu'il a lieu directement entre producteurs ou par intermédiaires, l'échange revêt des formes et des modalités différentes. Dans l'échange immédiat, les produits sont échangés pour leur valeur d'usage. La valeur d'échange des articles se reconvertit aussitôt après l'acte d'échange en une valeur d'usage définitive. L'échange se complique et se généralise lorsque les marchandises qui en sont l'objet ne sont plus désirées pour satisfaire un besoin, mais pour servir de moyens d'échange dans de nouvelles transactions. La marchandise sert alors d'intermédiaire dans un cycle où sa valeur d'échange demeure jusqu'à ce qu'elle recouvre sa valeur d'usage en étant enfin consommée. Lorsqu'une marchandise s'impose comme équivalent général de toutes les autres marchandises en circulation, sa valeur d'usage n'est plus qu'une valeur d'échange : elle remplit donc la fonction de monnaie. Dès lors, l'échange est généralisé et se fait par une double opération de vente et d'achat.
Ces différentes formes de l'échange se sont développées historiquement sous des modalités différentes. On considère généralement le troc comme la première de celles-ci. Par le troc, deux produits sont estimés directement en termes de l'un par rapport à l'autre (x mesures de grains contre y mesures de lait). Les quantités respectives de marchandises échangées représentent les termes de l'échange.
Le troc recouvre aussi des formes d'échange plus complexes lorsqu'il fait intervenir des biens intermédiaires, soit pour élargir la portée des échanges, soit pour permettre l'apparition d'un profit.
La traite qui se pratiqua sur les côtes d'Afrique occidentale du xve au xviie siècle en donne plusieurs exemples. Ainsi l'échange d'un lot de produits, ou assortiment, contre une autre marchandise ou un autre lot. Certains de ces assortiments en vinrent à être reconnus comme étalon auquel on rapportait les autres articles. Afin de faciliter la comptabilité de ces échanges en nature, on conçut ainsi des unités de compte, dérivées au départ de ces assortiments, puis dépourvues de toute existence matérielle (Polanyi, 1964). Ce double phénomène ouvrait la voie à l'apparition d'un article de valeur universelle, susceptible d'être comparé à toutes les autres marchandises, la monnaie, en laquelle coïncident une marchandise-étalon et une unité de compte. Avec l'apparition de la monnaie, les modalités de l'échange et son histoire se confondent avec celles du commerce.
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Écrit par
- Claude MEILLASSOUX : maître de recherche au C.N.R.S.
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