ÉMIRATS ARABES UNIS
Nom officiel | Émirats arabes unis |
Chef de l'État | Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane - depuis le 14 mai 2022 |
Chef du gouvernement | Cheikh Mohammad ben Rachid al-Maktoum - depuis le 5 janvier 2006 |
Capitale | Abu Dhabi |
Langue officielle | Arabe |
Population |
10 483 751 habitants
(2023) |
Superficie |
83 600 km²
|
Article modifié le
Histoire
« Trucial States », hégémonie britannique et émergence des émirats
La période moderne est profondément structurée par la présence britannique dans cette zone du Golfe qui, du xixe siècle à la fin des années 1960, constitue un véritable lac britannique. Surnommée par les étrangers « Pirate Coast » (la « côte des Pirates »), en référence aux attaques de pirates contre les navires de pêche européens ou omanais, elle devient « Trucial Coast » (la côte de la Trêve) au xixe siècle, en référence aux efforts britanniques pour imposer aux familles locales des traités successifs.
La présence britannique structure la formation d’entités qui vont devenir des « Trucial States » (États de la Trêve), autour de familles, garantes des traités de « trêve » vis-à-vis de l’extérieur. Les traités créent une relation exclusive avec le Royaume-Uni ; très jaloux de ses prérogatives dans la région, le Royaume-Uni isole les émirats du reste du monde et en particulier du monde arabe, si bien que ces régions autrefois commerçantes n’ont plus de contacts qu’avec l’Inde (la roupie y circule largement). Paradoxalement, cette présence contribue à asseoir leur souveraineté. Chaque entité définit ses relations avec le Royaume-Uni, car, selon les termes des traités et pour lutter contre la piraterie, chaque navire circulant dans le golfe doit être identifié par le drapeau de l’État dont il dépend ; cela fonde par exemple la séparation entre Dubaï et Sharjah ou le Qatar et Abu Dhabi, pour des zones géographiques qui n’ont pas existé de manière autonome auparavant.
La présence britannique dans cette région – qui marque encore aujourd’hui la société, avec les descendants d’Indiens venus à l’époque britannique ou ceux de conseillers britanniques – est un élément essentiel de la construction de ces États, dont le statut légal n’est défini d’abord que comme « in treaty relations with Britain » au temps de l’empire, puis comme « British protected States » jusqu’à l’indépendance. Les Britanniques laissent une large autonomie aux familles locales, n’interférant que peu dans leurs affaires intérieures tant que leurs intérêts ne sont pas en jeu, et, après la Seconde Guerre mondiale, ils assurent leur protection vis-à-vis de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, les deux puissances régionales.
Les Britanniques dans un premier temps, à la recherche d’interlocuteurs, puis la nécessaire cartographie territoriale liée à l’exploitation du pétrole, transforment les familles locales en chefs d’État jaloux de leur souveraineté (même s’ils sont totalement dépendants), comme le montrent les rivalités acerbes, menant à des coups d’État au sein des familles, pour l’obtention d’une reconnaissance à l’égal des autres. La famille al-Nahyan s’impose à Abu Dhabi : après la période faste (1855-1909) de Cheikh Zayed ben Khalifa, dit Zayed le Grand, qui fédère les tribus des côtes et de l’intérieur, elle est marquée par de nombreux meurtres et vengeances dans les années 1920, jusqu’à ce que Cheikh Shakbout ben Sultan (qui règne de 1928 à 1966) apporte une stabilité. Il est déposé en 1966 par son jeune frère Cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyan, qui meurt en 2004. À Dubaï dominent les al-Maktoum (les al-Maktoum et les al-Nahyan sont deux branches rivales d’une même grande confédération tribale), qui ont des racines urbaines dans cet État constitué dans une crique : ils font parler d’eux à partir de 1814 et se caractérisent par une stabilité au sein de la famille et l’absence de renversements violents, même si des oppositions intrafamiliales existent. Dubaï est une ville commerçante dynamique, dirigée comme une entreprise ; en 1957, un conseil municipal est mis en place ; en 1965, la première chambre de commerce des Trucial States y voit le jour. À Sharjah gouvernent les Qawasim, affaiblis dans les années 1820 par leurs rivalités, puis par des coups d’État au sein de la famille ; à Ras al-Khaimah dominent d’autres Qawasim ; à Ajman, les Nuayyim ; à Umm al-Qaiwain, les al-Mualla ; à Fujaïrah, les Sharqiyin.
Dans les années 1930, la prospection pétrolière renforce les dynamiques de construction d’émirats sous influence britannique. La recherche pétrolière est une chasse gardée des compagnies proches des Britanniques. Le pétrole est découvert à Abu Dhabi en 1958 et exploité à partir de 1962 : le modeste émirat d’Abu Dhabi se transforme en un géant pétrolier, dont la production passe de 13,5 millions de tonnes en 1965 à 68 millions de tonnes en 1974. À Dubaï, il est découvert en 1966 et extrait dès 1969. Le dernier producteur d’hydrocarbures des É.A.U. est Sharjah, où le pétrole est trouvé en 1973 et exploité à partir de 1974. Les concessions pétrolières posent alors le problème de la délimitation précise des frontières, une question centrale de souveraineté qui n’existait pas auparavant sur un territoire où le désert joue le rôle de mer de séparation entre les familles : ainsi naissent les contentieux entre Abu Dhabi et Dubaï, Abu Dhabi et le Qatar, Sharjah et Dubaï, entre autres. La richesse pétrolière inverse les rapports entre les émirats : avant le pétrole, Abu Dhabi était un des émirats les plus pauvres, en tout cas par rapport à Dubaï, place commerçante ancienne.
Indépendance, retrait britannique et fédération des É.A.U.
Londres annonce en janvier 1968 un désengagement militaire à l’est de Suez, créant une panique parmi les familles régnantes totalement dépendantes du Royaume-Uni pour leur sécurité. Les Britanniques souhaitent laisser une architecture de sécurité stable en proposant la création d’une grande fédération, qui devait regrouper non seulement les émirats qui vont constituer les É.A.U., mais aussi Bahreïn et le Qatar. Le projet échoue en raison des déclarations d’indépendance de Bahreïn et du Qatar. Abu Dhabi et Dubaï forment une fédération et appellent les autres émirats à les rejoindre. Seuls quatre le font aussitôt – le cinquième, Ras al-Khaimah, ne rejoindra la fédération qu’en février 1972. Le 2 décembre 1971, lorsque le Royaume-Uni annonce qu’il met fin à ses relations par traités avec les émirats du Golfe, la fédération des Émirats arabes unis est proclamée. Deux jours auparavant, l’Iran occupe trois îlots au centre du Golfe sur la route du détroit d’Ormuz : Abu Musa (qui relève de la souveraineté de Sharjah ; un accord est conclu avec l’Iran pour une concession d’une partie de l’île le 29 novembre 1971 ; en 1992, l’Iran chasse de l’île les fonctionnaires de Sharjah), et la Grande et la Petite Tumb (qui appartenaient à Ras al-Khaimah). L’Iran argue de sa souveraineté « absolue » et « certaine » sur ces îles, mais laisse la porte ouverte à « la clarification des malentendus » ; les É.A.U. ont d’abord discuté bilatéralement, puis tenté en vain d’internationaliser la question afin d’obtenir un arbitrage dans les années 2000, sans provoquer l’Iran.
Dubaï entre avec réticence dans les É.A.U. que porte l’élan fédéraliste de Cheikh Zayed ben Sultan. Abu Dhabi prend un rôle dominant à partir des années 1970 et se montre généreux pour financer les projets de la fédération. Celle-ci est constituée d’un président – l’émir d’Abu Dhabi, Cheikh Zayed de 1971 à sa mort en 2004, remplacé par son fils aîné Khalifa ben Zayed al-Nahyan –, d’un vice-président – l’émir de Dubaï –, et d’un conseil suprême des émirs des sept États (Conseil national de la fédération), autour d’une Constitution provisoire. Le débat sur l’étendue du fédéralisme est fondamental dans la vie politique émiratie. Les crises du fédéralisme sont nombreuses, en particulier en 1976, quand le vice-président des É.A.U. et émir de Dubaï, qui entend garder son autonomie, refuse de signer une Constitution permanente perçue comme renforçant la fédération, ou en 1979, lorsque la médiation du Koweït permet de parachever l’incorporation au sein des instances fédérales de Dubaï, dont l’émir devient également Premier ministre.
La fédération s’impose comme un État au fil des années : le document de 1971 est une Constitution provisoire pour cinq ans, prolongée sans cesse, jusqu’à ce que, en 1996, la Constitution des É.A.U. devienne permanente. Le fils du cheikh Rachid al-Maktoum de Dubaï accepte de la signer, ce que son père n’a jamais fait ; d’importants ministères fédéraux, comme les Finances et l’Industrie, lui reviennent, en plus de la Défense (le vice-commandant de l’armée est le prince héritier d’Abu Dhabi). Mais les institutions de la fédération restent peu centralisées : par exemple, les institutions économiques fédérales demeurent faibles, une exigence de Dubaï. La mise en place, dans les années 1980, de la Banque centrale des É.A.U. a été délicate, et il a fallu une décennie pour stabiliser les relations monétaires entre les émirats, non sans que le système bancaire émirati n’explose avec le scandale de la banque pakistanaise B.C.C.I. en décembre 1991, qui coûte à l’émirat près de 8 milliards de dollars. Ce sont d’ailleurs plus les pressions américaines pour le contrôle des flux financiers dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme dans l’après-11 septembre 2001 qui expliquent l’avancée de la fédéralisation monétaire et bancaire. Progressivement, les lois fédérales s’imposent, malgré quelques réserves au nom des souverainetés des différents émirats et des rivalités de personnes parmi les dirigeants.
Constructions nationales dans un cadre fédéral et développement forcené
Le fédéralisme émirati est porté par les richesses de la fédération : avec 9 ou 10 p. 100 des réserves pétrolières mondiales, les émirats se placent au cinquième rang, et au quatorzième rang mondial pour les réserves gazières. Le pétrole est plutôt situé sur le territoire d’Abu Dhabi ; Dubaï en exporte aussi un peu, Sharjah, Ras al-Khaimah et Umm al-Qaiwain, de très petites quantités. Le poids économique d’Abu Dhabi, qui assure 90 p. 100 de la production de pétrole et possède 92 p. 100 des réserves de gaz des É.A.U., est prépondérant. Abu Dhabi utilise la redistribution de la rente pétrolière et gazière comme mécanisme de construction de l’État fédéral, assurant une adhésion au projet de fédération, à moins que celle-ci relève de l’allégeance tribale complétée par le pur et simple achat de loyauté par l’argent. D’ailleurs, les autres émirats ne publient pas leurs budgets, éludant la question sensible des subventions venues d’Abu Dhabi. L’argent de la rente pétrolière et gazière a été massivement réinvesti dans l’éducation, considérée comme une priorité (plus de la moitié du budget est consacré à l’effort de scolarisation), la création d’infrastructures (en particulier des routes et des autoroutes, alors qu’en 1971 peu de possibilités de communication existaient) ou la santé. Abu Dhabi a développé ses installations portuaires (Mina Zayed), des zones industrielles à Al-Mafraq, aux portes de la ville d’Abu Dhabi, et Ruwais, à 200 kilomètres à l’ouest de la capitale, et affiche son ambition de « faire fleurir le désert », autour de projets agricoles près d’Al-Aïn ou d’espaces verts dans la ville même d’Abu Dhabi. Une partie des revenus des rentes est également investie à l’étranger par l’Abu Dhabi Investment Authority,créée en mars 1976, qui est un des fonds d’investissement les plus importants du monde en termes de capitalisation (du niveau par exemple de celui de la Norvège).
À côté d’Abu Dhabi, Dubaï entend jalousement garder sa spécificité de place marchande au sein de la fédération. Dans les années 1950, l’émir fait aménager des installations portuaires et entretenir la crique qui s’ensable ; puis il crée un aérodrome, ainsi que divers équipements (adduction d’eau, usine d’électricité, pont sur la crique, infrastructures de télécommunication) ; ces investissements vont se révéler payants avec le choc pétrolier de 1973. Dubaï développe parallèlement une bureaucratie étatique efficace (et peu corrompue par rapport aux autres émirats), en recrutant massivement des cadres britanniques, sud-africains (blancs), arabes (égyptiens, mais aussi soudanais) ou indiens des États du sud de l’Inde bien formés. Infrastructures développées et administration efficace font de Dubaï un centre commercial attractif et dynamique et une interface entre l’Asie et d’autres marchés. La guerre Iran-Irak (1980-1988) donne un premier élan à Dubaï dans son rôle de ré-exportateur. L’émirat se lance dans des projets spectaculaires, avec ses cent deux postes à quai dans les deux ports en cale sèche de Dubaï ou de multiples projets industriels dans la zone franche de Jebel Ali, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de la ville de Dubaï, zone ouverte en 1985.
Dubaï devient également une place bancaire dans les années 1970-1980, qui bénéficie pour son lancement de l’affaiblissement de Beyrouth détruit par la guerre civile, puis de la présence des grands commerçants somaliens, afghans, ouzbeks ou azéris qui assurent des flux de liquidités gigantesques. Dubaï reste très sourcilleux de sa souveraineté au sein des É.A.U., menaçant régulièrement de sortir de la fédération, et entend maintenir une autonomie symbolique. La stratégie économique de l’émirat se comprend comme une volonté de sortir de la dépendance du pétrole par un développementalisme forcené, mais aussi comme une quête d’autonomie sourcilleuse vis-à-vis d’Abu Dhabi. Cependant, Dubaï reste fortement tributaire des installations portuaires d’Abu Dhabi pour son commerce, ainsi que de ses dons de pétrole et de gaz et de ses subventions pour le financement de ses projets.
Les autres petits États se sont intégrés à la fédération surtout dans une relation de dépendance vis-à-vis de la générosité d’Abu Dhabi (80 p. 100 du budget des émirats). Sharjah, qui possède quelques ressources gazières et pétrolières, s’est lancé dans une politique de modernisation effrénée, à l’image d’Abu Dhabi : il accueille des entreprises, a mis en place une zone franche dans l’exclave du Khor Fakkan sur le golfe d’Oman. La politique menée par la Sharjah Commerce and Tourism Development Authority et la Sharjah Development and Investment Authority assure en particulier le développement du tourisme, la mise en œuvre de projets éducatifs (avec des antennes d’universités étrangères), tout en voulant préserver une identité arabe et islamique traditionnelle, loin de la frénésie de changement de Dubaï (voire d’Abu Dhabi). Ras al-Khaimah a mis en place des industries et une zone franche confiée à une entreprise américaine. Fujaïrah a également développé une zone franche grâce aux subsides fédéraux, avec des infrastructures portuaires importantes dans le golfe d’Oman. Ajman a lancé des projets immobiliers périodiquement retardés ou reportés par manque de financement.
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Écrit par
- Philippe DROZ-VINCENT : professeur des Universités en science politique
Classification
Médias
Autres références
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ABU DHABI, ville
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 544 mots
La ville d'Abu Dhabi (en arabe Abū Zabī), capitale de l'émirat d'Abu Dhabi, est aussi la capitale de la fédération des Émirats arabes unis. Elle occupe la majeure partie d'une petite île triangulaire située dans le golfe Persique et reliée à la terre ferme par un pont....
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ARABIE
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Robert MANTRAN et Maxime RODINSON
- 7 615 mots
...1961 (indépendance suivie par une attaque déclenchée par l'Irak, mais contrecarrée par la Ligue des États arabes), Bahreïn, Qatar et la Fédération des Émirats arabes unis en 1971. L'expansion de leur production pétrolière a fait d'eux les États les plus riches du monde. Quant au ‘Omān, indépendant depuis... -
CCG (Conseil de coopération du Golfe)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
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Le Conseil de coopération du Golfe (CCG, en anglais, Gulf Cooperation Council ou GCC) est une organisation régionale. Créé le 25 mai 1981, à l'initiative de Riyad, pour contrer les débordements possibles de la révolution islamique iranienne et limiter les retombées de la guerre Irak-Iran...
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DUBAÏ
- Écrit par Jean-Marc PROST-TOURNIER
- 200 mots
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Capitale de l'émirat du même nom qui fait partie des Émirats arabes unis, la prospérité de Dubaï date d'avant la découverte du pétrole (en 1966) ; en effet, Dubaï (en arabe « la sauterelle ») possédait, grâce à sa crique en eau profonde et bien abritée, le seul mouillage valable de l'ancienne côte...
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Voir aussi
- JEBEL ALI, Dubaï
- ISLAMISME
- LOGEMENT POLITIQUE DU
- RÉSERVES NATURELLES
- TRAVAILLEURS ÉTRANGERS
- SHARJAH
- UMM AL-QAIWAIN ou UMM AL-QAYWAYN
- RAS AL-KHAIMAH
- AJMAN
- ABU DHABI
- ARABIQUE PÉNINSULE ou PLATE-FORME
- FUJAIRAH ou FOUDJEIRA
- PIRATES CÔTE DES
- ROYAUME-UNI, histoire, de 1945 à nos jours
- ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
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