FRANÇAIS EMPIRE COLONIAL
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Avec 12 millions de kilomètres carrés et 68 690 000 habitants, l'empire colonial français était en 1939 le deuxième du monde, après celui de l'Angleterre. À vrai dire, la notion d'empire colonial français est relativement récente et n'a jamais revêtu une forme institutionnelle. Plus que d'empire, l'historien devrait parler de domaine colonial français, se demander comment il a été constitué et quels ont été les avatars de la colonisation française. Dans cette recherche, il convient de ne jamais confondre les époques. Car, à chacune d'elles, correspondent des types particuliers de motivations et de formes d'expansion. Il est de tradition de distinguer chronologiquement deux empires coloniaux français. Le premier, qui est formé par à-coups à partir du xvie siècle, décline dès le traité d'Utrecht (1713) et se disloque à l'époque du traité de Paris, qui consacre la victoire de l'Angleterre (1763), et lors de la Révolution. Le second, dont les premiers éléments sont constitués à partir de 1830, n'atteint son plein développement qu'après 1880. Ébranlé par la Première Guerre mondiale, il succombe sous les coups des mouvements nationalistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Il ne s'agit pas de présenter ici une histoire événementielle de l'empire colonial français ni de décrire l'évolution des différents territoires qui l'ont constitué. Il convient avant tout de distinguer les principales étapes de sa formation. À quel contexte général sont-elles liées ? Quels sont pour chacune les traits caractéristiques ? Pas plus qu'on ne peut fixer avec rigueur la date de formation de l'empire colonial français, il n'est possible de préciser la date exacte de son éclatement. Mieux vaut saisir cet empire à son apogée, mettre en lumière les forces de dislocation qu'il recèle et montrer pourquoi, à un certain moment, ces forces l'ont emporté. De plus en plus, l'histoire scientifique de la colonisation est faite du point de vue des peuples qui furent colonisés : ce qu'ils étaient avant la colonisation, ce qu'ils furent pendant, ce qu'ils sont devenus après.
Ici, le fait colonial sera envisagé du point de vue de la métropole ; car, en dernière analyse, c'est dans la métropole que l'on doit, avec un esprit d'autant plus critique que cette histoire a été pendant longtemps parée des plus belles couleurs, rechercher l'explication du phénomène de la formation et du destin de l'empire colonial français.
Les origines
Une tradition pseudo-historique, confondant expansion et colonisation et puisant à des sources douteuses, tendait à justifier la formation des empires coloniaux français en cherchant très loin dans le passé les origines de ce fait colonial. On annexait à cette histoire les initiatives des Normands en Sicile et dans l'Italie du Sud, la participation des nobles français à la Reconquista ibérique, les croisades, naturellement, voire l'extension de la mouvance carolingienne au temps de Charlemagne. Les initiatives coloniales françaises ne datent en réalité que de l'époque moderne et sont même postérieures à celles des Espagnols et des Portugais. Sans doute peut-on mentionner l'établissement de Jean de Béthencourt aux Canaries au début du xve siècle (1402-1408). Mais le sire de Béthencourt se reconnaît très tôt vassal d'Henri III de Castille. D'autre part, aucun historien n'accorde créance à ces récits qui attribuaient aux Dieppois et aux Rouennais la découverte de la Guinée au xive siècle. En revanche, certaines interventions apparaissent au xve siècle dans lesquelles les préoccupations commerciales l'emportent sur la volonté de colonisation. En France comme ailleurs, ce sont les marchands qui commencent une œuvre qui deviendra ultérieurement une entreprise de colonisation. Sous le règne de Charles VII, les affaires de Jacques Cœur rayonnent dans tout le bassin de la Méditerranée. Louis XI tente de créer une compagnie de commerce dans le Levant.
Toutefois, la France ne joue aucun rôle dans le mouvement des grandes découvertes. Les raisons en sont multiples : manque d'audace de la bourgeoisie marchande, attirance de l'Italie, insuffisance de la marine. François Ier proteste bien contre le partage des nouveaux mondes entre l'Espagne et le Portugal, mais par souci de prestige plus que par intérêt pour la colonisation. La quête des épices et des métaux précieux n'attire que des commerçants ou banquiers avides de gains. En fait, la piraterie est d'un revenu plus sûr. Mieux vaut s'emparer des galions espagnols chargés d'or que de se risquer à l'occupation des terres d'où viennent ces galions. La piraterie est en même temps une forme de lutte contre Charles Quint. Les rares tentatives de colonisation n'ont guère de résultats, et il faut se garder de prêter à des découvreurs français des projets trop précis. Entre 1535 et 1540, Jacques Cartier reconnaît et remonte l'estuaire du Saint-Laurent, fonde un établissement à Québec et obtient de François Ier qu'il prenne possession du Canada et d'Hochelaga (1540). C'est un échec. Le Malouin Cartier n'a pas découvert ce qu'il cherchait, à savoir la route qui pouvait conduire au fabuleux Cathay de Marco Polo. Il n'a trouvé ni or ni pierres précieuses. De ces premiers contacts comme de la tentative de colonisation de J. F. de Roberval qui échoue également, il ne reste guère qu'un trafic : le troc de la bimbeloterie contre des fourrures que pratiquent les pêcheurs français de Terre-Neuve et qui enrichit les ports de Normandie et de Bretagne. Des protestants sont à l'origine d'autres initiatives : J. Ribault et Goulaine en Floride (ils sont écrasés par les Espagnols en 1565), Durand de Villegagnon au Brésil (il doit céder la place aux Portugais en 1559). Sur la route des épices, des navires français apparaissent dans l'Inde devant Diu en 1522. Les frères Jean et Raoul Parmentier, qui naviguent pour le compte de l'armateur dieppois Jean Ango, atteignent Sumatra où ils trouvent la mort. Le traité des Capitulations (1536) accorde bien à François Ier des avantages commerciaux dans le Levant. Mais peut-on parler de colonisation ? Si, par ailleurs, l'amiral de Coligny évoque une « France antarctique », ne s'agit-il pas avant tout d'y trouver un refuge pour les huguenots ?
À toute expansion coloniale, il faut des raisons internes. Elles n'existent guère dans la France du xvie siècle. Les guerres de religion affaiblissent l'État et accaparent les énergies disponibles. Il se produit sans doute une certaine évolution vers des structures capitalistes : le port du Havre est créé en 1537 et, par Dieppe, on a commencé à entrer en contact avec les richesses des nouveaux mondes. Toutefois, la population française est rurale à quatre-vingt-dix pour cent. L'économie est pauvre, cloisonnée, écrasée sous les prélèvements seigneuriaux et royaux et secouée par des crises de subsistance. Les habitudes de thésaurisation persistent (et pour longtemps encore) dans la petite bourgeoisie des villes et des campagnes. Le personnel des centres de spéculation, comme Lyon, est souvent étranger. Les bourgeois enrichis abandonnent les métiers de la boutique ou de l'atelier. Ils achètent des terres et, grâce à la vénalité des offices, accèdent à la noblesse de fonction.
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Écrit par
- Jean BRUHAT : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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