Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

EMPIRE DES STEPPES

L'expression « empire des steppes » a été rendue populaire par le titre d'un ouvrage de René Grousset, qui fut le premier à tenter, en langue française, une histoire globale des pasteurs et guerriers nomades du cœur de notre continent. Paru en 1941 et plusieurs fois réédité, son livre L'Empire des steppes demeure une référence irremplaçable par son approche synthétique, même si les fouilles et les recherches historiques effectuées depuis lors ont fait progresser sensiblement nos connaissances et modifié radicalement nombre de points de vue, en particulier pour ce qui est de l'histoire ancienne des steppes, qui y apparaît sous l'intitulé « Scythes et Huns ».

Au reste, le sous-titre de l'ensemble du livre, Attila. Gengis-Khan. Tamerlan, dit assez quel en est l'enjeu central. Et amène de ce fait à s'interroger sur la validité de l'expression « empire des steppes ». Car, à moins de faire du mot « empire » le synonyme d'« emprise », comme on parle d'« empire des sens », en abandonnant l'acception politique du mot, il serait sans doute sage d'y renoncer, et de considérer plutôt le monde des steppes comme un « milieu des empires ». Il n'y a jamais eu en effet dans la steppe ni empire unifié ni multiplicité d'empires, même éclatés ou successifs. La réalité historique du vaste monde des steppes, c'est d'abord une mosaïque sans cesse mouvante de tribus nomades d'éleveurs, à l'économie complémentaire de celle des cultivateurs sédentaires, vivant souvent en symbiose à leurs côtés, mais également susceptibles de déferler en brèves giboulées ou en véritables raz de marée sur les villages et les villes, au point de représenter une redoutable menace pour des empires qui, justement, se sont constitués contre eux, édifiant, pour se protéger, limes romain et Grande Muraille de Chine. Ces nomades se sont parfois regroupés en confédérations de tribus, avec à leur tête des chefs dont certains ont été d'immenses, mais éphémères conquérants. Le pouvoir qu'ils incarnaient était lié à leur personne, au point qu'au moment de leur disparition, leurs « empires » ne tardaient pas à se défaire en luttes fratricides.

Il arrive aussi que des nomades conquièrent durablement des territoires urbanisés sur lesquels ils s'installent et se sédentarisent définitivement jusqu'à fonder un véritable empire. Ce fut le cas, dans l'Antiquité, des Parthes et des Kouchans. Et déjà des Mèdes et des Perses qui, avant de fonder l'énorme empire achéménide, n'étaient, tout compte fait, rien d'autre que des éleveurs nomades.

En parlant d'« empire des steppes », nous prenons donc le risque de plaquer un vocabulaire de sédentaires sur une réalité nomade qui échappe à nos catégories mentales. Infiniment séduisante et génératrice, pour les « demeurés » que nous sommes, d'un délicieux frisson, l'expression « empire des steppes » n'en reste pas moins, plus qu'une réalité historique, une figure de style romantique, et la notion d'État nomade un pur oxymoron.

Dotés d'une culture brillante et d'un art d'une remarquable puissance expressive, les nomades des steppes, qu'ils soient de langues indo-iraniennes ou turco-mongoles, privilégiaient la parole et sont restés, pour la plupart d'entre eux, sans écriture. Ce sont donc leurs voisins qui, au fil de l'Histoire et de ses conflits, nous ont renseigné sur eux, de façon souvent peu objective. Qu'on songe à ce que rapporte l'historien latin des Huns, Ammien Marcellin, qui a largement contribué à faire d'eux ce synonyme d'épouvante qui a terrifié l'Occident.

Autre difficulté : les sources, dans leur tranquille ethnocentrisme, désignent bien souvent ces nomades en bloc d'un nom[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en archéologie et histoire de l'art antique à l'université de Besançon

Classification

Autres références

  • EXPANSION MONGOLE - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 198 mots

    1206 Temüdjin est reconnu khan universel (Gengis khan).

    1215 Prise de Pékin et annexion de la Mandchourie.

    1221 Gengis khan atteint l'Indus.

    1229 Ögödeï est élu grand khan deux ans après la mort de son père Gengis khan.

    1231 Destruction définitive de l'empire du Kharezm et...

  • HORDE D'OR

    • Écrit par
    • 643 mots
    • 2 médias

    Nom sous lequel est connu le khānat fondé dans les plaines russes, au nord de la mer Noire et de la Caspienne, par la branche gengiskhanide aînée au xiiie siècle. La région, occupée au sud par des nomades de race turque, les Kiptchak (ou Coman ou Polovtsy), au nord par les Bulgares de...

  • HUNS

    • Écrit par
    • 3 674 mots
    • 16 médias

    Les Huns venus d'Asie, d'origine turque, ougrienne ou mongole selon les chercheurs, descendent peut-être des Xiong-nu d'Asie centrale. Ils apparaissent pour la première fois dans les sources occidentales chez Ptolémée, en 160-170 après J.-C., mais ne déploient une activité militaire et...

  • INVASIONS GRANDES

    • Écrit par
    • 16 118 mots
    • 8 médias
    On ne sait rien de sûr au sujet des Huns avant la fin du iie siècle. Ce peuple nomadise alors dans la steppe au nord du Caucase. Il vient probablement de l'Asie centrale, mais les spécialistes actuels hésitent à l'identifier, comme on le fit longtemps, avec des nomades connus par les textes chinois,...
  • Afficher les 14 références