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ÉPIGÉNÉTIQUE ET THÉORIE DE L'ÉVOLUTION

Le terme « épigénétique » est aujourd’hui très en vogue, aussi bien dans la littérature spécialisée que dans la presse de vulgarisation. On y associe souvent une connotation hétérodoxe et polémique, l’épigénétique étant vue comme marquant les limites de la génétique et de la théorie darwinienne de l’évolution (théorie synthétique). À ce sujet, certains parlent même d’un retour possible du lamarckisme, l’ hérédité des caractères acquis se trouvant légitimée par les connaissances moléculaires actuelles.

Chatte au pelage « écaille de tortue » - crédits : Teekevphotograph/ Shutterstock

Chatte au pelage « écaille de tortue »

Cet article propose une clarification de cet aspect : dans quelle mesure l’hérédité épigénétique transgénérationnelle oblige-t-elle à repenser la théorie de l’évolution ? Cette forme d’hérédité englobe tous les mécanismes non génétiques (qui ne modifient pas la séquence des nucléotides de l’ ADN) permettant le maintien de certaines caractéristiques au cours des générations. En règle générale, il s’agit d’une hérédité bien moins stable que l’hérédité génétique classique, et qui tend à s’estomper au bout de quelques générations seulement. Néanmoins, son existence pourrait quand même avoir des conséquences sur la façon dont il faut expliquer la transformation des espèces. Avant d’aborder cette question difficile et ouverte, la première partie de cet article est consacrée à l’examen de la polysémie du terme « épigénétique », qui n’est pas pour rien dans la complexité des débats actuels. Il s’agira ensuite de bien distinguer la question d’un retour du lamarckisme de celle de la modification possible de la théorie synthétique, afin de ne pas se tromper sur les raisons qui font que cette dernière pourrait effectivement être à revoir.

Pluralité du concept d’épigénétique

Conrad Waddington - crédits : American philosophical  society/ SPL/ AKG-images

Conrad Waddington

L’épigénétique est, depuis la fin des années 1990, un domaine de recherche florissant impliqué dans l’étude de phénomènes biologiques divers tels que la différenciation cellulaire et le développement, le métabolisme, les mécanismes d’hérédité, l’évolution, les rapports hôtes-pathogènes, le cancer et d’autres maladies comme le diabète ou des maladies neurodégénératives. Cependant, le terme « épigénétique », à la fois en tant qu’adjectif et dans sa forme substantivée, était déjà d’usage en biologie à la fin des années 1930, où il fut introduit pour la première fois par le biologiste du développement Conrad H. Waddington (1905-1975). Le sens de ce terme a évolué depuis, et cela dans des contextes disciplinaires différents, donnant lieu à au moins deux traditions de recherche liées à l’épigénétique : l’une trouve son origine dans le travail de Waddington, l’autre dans celui de David Nanney à la fin des années 1950. Dans un cas comme dans l’autre, l’épigénétique naît comme une réponse au problème du développement des organismes.

Paysage épigénétique selon Waddington - crédits : Conrad H. Waddington/ D.R.

Paysage épigénétique selon Waddington

Dans son livre d’introduction à la génétique moderne, publié en 1939, Waddington se pose en effet la question de savoir comment un organisme multicellulaire adulte est construit à partir d’une cellule unique, l’œuf fécondé ou zygote. La réponse réside, selon lui, dans l’« épigénotype », à savoir l’ensemble complexe d’interactions entre gènes, et entre gènes et environnement, qui organisent et construisent les tissus, les organes et l’organisme entier au cours du processus de développement. L’épigénétique s’occupe donc de ce qui se trouve entre génotype et phénotype – entre l’ensemble des gènes d’un organisme, porteurs de ses potentialités développementales, et l’ensemble des caractéristiques observables qu’il développe. Waddington utilise explicitement le terme « épigénétique » dans ce cadre pour se référer à la théorie classique de l’épigenèse qui, depuis Aristote, soutient l’idée d’une construction progressive des organismes au cours du développement à travers les interactions entre les[...]

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Écrit par

  • : docteur en épistémologie et histoire des sciences, chargé de recherche au CNRS, professeur agrégé de sciences de la vie et de la Terre
  • : chargée de recherche au CNRS, Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques

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Chatte au pelage « écaille de tortue » - crédits : Teekevphotograph/ Shutterstock

Chatte au pelage « écaille de tortue »

Conrad Waddington - crédits : American philosophical  society/ SPL/ AKG-images

Conrad Waddington

Paysage épigénétique selon Waddington - crédits : Conrad H. Waddington/ D.R.

Paysage épigénétique selon Waddington