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FEVER (L. Kaplan)

Leslie Kaplan est née à New York en 1943, dans une famille juive d'origine polonaise, et a grandi à Paris où elle vit aujourd'hui. Étudiante en 1968, elle s'« établit » pour deux ans en usine, expérience qu'elle évoque de manière dépouillée et poétique dans L'Excès-l'usine (1982), premier livre salué par Maurice Blanchot et Marguerite Duras. Elle anime aujourd'hui des ateliers de lecture-écriture, et plusieurs de ses romans ont été adaptés à la scène. Tous sont habités par une conscience politique aiguë et une volonté farouche de comprendre Depuis maintenant le monde dans lequel nous vivons « depuis mai ». Le titre programmatique de la série initiée en 1996, et dont Fever (P.O.L., Paris, 2005) constitue le cinquième volume, énonce une exigence : partir du réel, ici et maintenant, tenter d'en restituer la complexité éclatée sans jamais trier, expliquer, résoudre les contradictions, ni ramener l'inconnu au connu.

Lorsque le roman commence, Damien et Pierre viennent d'assassiner une femme, choisie presque par hasard : comme Madame Martin, leur professeur de philosophie, elle ressemble à la chanteuse Alice Snow, l'interprète de Fever. Ces deux lycéens sans problèmes qui habitent le quartier Montparnasse sont intelligents et travailleurs, sensibles et attachants. Exaltés par la découverte des concepts philosophiques, incarnés par leur trop séduisant professeur, ils ont préparé durant des mois et exécuté juste avant le baccalauréat le meurtre parfait : un crime sans mobile donc sans culpabilité, commis par défi, pour mettre à l'épreuve l'idée de liberté : « Pour qu'il y ait crime il faut qu'il y ait une raison personnelle. [...] Mais si c'est par hasard... » L'amorce du récit évoque ainsi immanquablement Les Caves du Vatican d'André Gide, pour mieux s'en éloigner. Si aucun soupçon ne pèse sur les deux lycéens, et s'ils n'éprouvent pas vraiment de remords, ils n'en sont pas moins transformés par leur acte : comme en proie à une mauvaise fièvre, ils s'éveillent à la conscience, à une intranquillité pleine de questions, d'insomnies et d'hallucinations, de rêves troublants et de pensées « collantes ». Même si, parfois, ils se plongent dans les révisions de mathématique et courent les rues du XIVe arrondissement, toutes leurs conversations et leurs lectures se réorganisent autour d'un acte monstrueux dont émergent de possibles mobiles.

Le champ en effet s'élargit à leurs familles : la rayonnante grand-mère juive de Pierre a été déportée ; son mari se mure dans le silence pour ne pas crier un désir de vengeance que plus personne ne veut entendre. Le grand-père si distingué que Damien adore a été fonctionnaire sous Vichy : lui a suivi des ordres dont on ne saura rien, sinon qu'il rejette l'idée de crime contre l'humanité. Car « pour qu'il y ait crime il faut qu'il y ait une raison personnelle. [...] Mais si on suit des ordres... » Tandis que cette phrase résonne, les deux garçons comprennent qu'un crime qui se voulait gratuit a germé sur des lâchetés et des non-dits transmis d'une génération à l'autre. Rattrapés par le passé, Pierre et Damien se passionnent, bien au-delà de ce qu'exigent leurs révisions d'histoire, pour les procès de Papon et Eichmann, à propos duquel Hannah Arendt a créé le concept de « banalité du mal » : « l'inhumain fait partie de l'humain, c'est sa limite toujours possible ».

Mais « le passé n'explique pas, il fait irruption ». Au terme du roman, la plupart des questions posées restent ouvertes. D'autant que s'y superposent celles d'une foule d'autres personnages : une jeune femme qui parle avec sa mère enterrée au cimetière Montparnasse, Yves, adolescent de banlieue exclu du lycée pour[...]

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

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