ROSSIF FRÉDÉRIC (1922-1990)
Frédéric Rossif était un poète de l'image, et il disait de lui-même qu'il était un émigré. « J'ai fait du cinéma car je ne sais pas écrire, et l'image est le langage des exilés. » On l'a souvent comparé à Noé. Dans son arche, il a accumulé des trésors d'images qu'il a filmées dans le monde entier, et a réalisé des centaines de films difficiles à classer dans le genre documentaire, car ils représentent davantage : ils inventent un rythme, un style, une émotion. Il existe un lien entre Mourir à Madrid et Sauvage et beau, et ce lien, ce fil d'Ariane, se rattache à l'esprit irréductible de la liberté et à sa mémoire.
De ses origines mystérieuses, celles d'un monde disparu, le Monténégro, où il naît en 1922 à Cetinjé, Frédéric Rossif a peu parlé, par pudeur ou par goût du secret. Il suit une scolarité classique à Rome, y étudie les mathématiques, puis en 1941, lorsque la guerre éclate entre l'Italie et la Grèce, il rejoint Alexandrie et s'engage dans la Légion étrangère des Forces françaises libres. Son questionnement de l'histoire naît là, dans la violence des combats de la campagne de Libye, à Bir Hakeim, et durant la campagne d'Italie. Il arrive en France par le débarquement en Provence d'août 1944, et participe à la campagne d'Allemagne. En 1945, il se retrouve à Paris, démobilisé. Le soir, il hante Saint-Germain-des-Prés, rencontre Sartre, Camus, Hemingway, Boris Vian, Malcolm Lowry, Nicolas de Staël. « C'était une époque heureuse, comme toutes les époques qui viennent après les guerres. C'était l'immense élan de la vie, tout se passait de manière directe, immédiate. » En 1948, il entre à la Cinémathèque comme bibliothécaire, et organise la programmation du soir. « Je me suis gavé de films, de documentaires, je pense que c'est là que m'est venue ma vocation. » En 1949, il organise un festival du film d'avant-garde à Antibes, où il obtient de Picasso, Matisse, Chagall et Cocteau qu'ils réalisent chacun un film. Dès lors, son goût pour la peinture l'accompagne. Il réalise plus tard des films sur Braque, Mathieu, Picasso et Morandi.
En 1952, il entre à la télévision française (O.R.T.F.). C'est l'époque mythique des pionniers qui imaginent une télévision intelligente et instructive. Avec Pierre Lazareff, Frédéric Rossif crée la grande émission d'information « Cinq Colonnes à la une ». Puis il réalise des émissions comme « Éditions spéciales », sur la Chine, le Tiers Monde, le problème atomique, la bataille du Pacifique, Stalingrad, la chute de Berlin. Son attachement à l'histoire trouve son expression dans de grands reportages et des montages d'archives. Quelques-unes de ses émissions lui valent d'être suspendu de ses fonctions. Dans le même temps, il devient très populaire grâce à « La Vie des animaux », commentée par Claude Darget, et « Nos Amies les bêtes ». De 1961 à 1969, il va réaliser ses premiers longs-métrages pour le cinéma : Le Temps du ghetto sur la résistance désespérée du ghetto de Varsovie, Mourir à Madrid, Les Animaux, Révolution d'Octobre, Un mur à Jérusalem, Pourquoi l'Amérique ?
Mourir à Madrid (1963), sur la guerre d'Espagne et les Brigades internationales, est interdit à sa sortie, pour ne pas « peiner » Franco. C'est Malraux qui fait lever la censure. Ce film obtient le prix Jean Vigo. « Car l'Espagne, pour les gens de ma génération, ce fut la blessure initiale, l'histoire d'une trahison et de la lâcheté face à la dictature. D'un côté, une armée de mercenaires et, de l'autre, un peuple debout ; ceux qui allaient mourir pour une utopie, ceux qui allaient prendre le pouvoir au cri de „Vive la mort !“ »
En 1967, son esprit encyclopédique se manifeste[...]
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Écrit par
- Hélène BLESKINE : écrivain
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