HÖLDERLIN FRIEDRICH (1770-1843)
Hölderlin est devenu une sorte d'emblème de la poésie allemande, et son nom, comme ceux de Paul Celan ou de Rilke, auxquels il est associé par des liens contradictoires, est employé dans le monde entier comme le shibboleth, le signe de reconnaissance et de connivence qu'échangent ceux qui ont décidé de ne parler que de la poésie, de choses essentielles. Si l'opinion omniprésente qu'il est “le plus grand poète allemand” est parfois combattue, notamment par les admirateurs de Goethe, l'idée qu'il est “le plus poète” des grands de la littérature allemande n'est guère contestée. Enfin, il fut aussi peut-être “le plus allemand” des grands poètes, et cette qualité qu'il n'aurait pas reniée, au moins comme un idéal, mais qu'il faut penser dans ses circonstances historiques particulières, lui a valu au xxe siècle l'hommage actif des idéologues du national-socialisme : le centenaire de sa mort, peu après Stalingrad, a donné lieu à des célébrations “appropriatrices” dont l'écho trouble encore la lecture de ses œuvres. Tübingen fut “déjudéisé”. Trois vers entiers du poème La Mort pour la patrie furent gravés dans le marbre du stade olympique de Berlin. Dans les musettes des soldats de la Wehrmacht en train de mettre l'Europe à feu et à sang, on glissa une petite anthologie spéciale des poèmes de Hölderlin, dite Feldauswahl.
Inimaginable récupération pour qui connaît un peu la vie et l'œuvre d'un auteur qui avait eu dans Hypérion des mots si durs pour les Allemands, repris dès 1843 en quasi-exergue des Annales franco-allemandes des trois proscrits, Ruge, Engels et Marx.
Le récit de sa vie ne suffit pas à dénoncer les images déformées que la postérité a produites. Elle fut dominée par l'échec, assombrie par des deuils, engloutie par la maladie, frappée de solitude, ternie d'incompréhensions, seulement éclairée par quelques moments d'enthousiasme, une intense histoire d'amour, et la lumière d'œuvres prodigieusement réussies et reconnues.
Nürtingen
Hölderlin est souabe. On imagine mal ce que cette désignation recouvre de préjugés pour une oreille allemande : l'idée d'une langue lourde, d'une mentalité introvertie. C'est sans doute cette référence régionale qui lui valut de ne pas même être pris en considération par Heinrich Heine, observateur curieux et cultivé, s'il en fut, de la littérature allemande de ce temps. L'enfant de Nürtingen emploie jusqu'à sa mort des expressions et des tournures propres au “parler natal” de ce Sud-Ouest allemand, qui ne font qu'un avec la langue de l'enfance. La nature – Suavis Suevia – est mère : accueillant pays de vallées riantes, de collines douces, ouvragé par les eaux, l'humide, arqué sur quelques fleuves encore à l'état de rivières. Même ceux-ci, Danube, Neckar, y sont adolescents, ondoyants et timides : compagnons de jeu. Les villes sont de grands villages familiers soudés par des coutumes réfléchies, où les parois blanchies des églises renvoient comme un écho ondulant du paysage extérieur le prêche sonore des pasteurs. Un pays, une parole, une nature, où il serait si bon d'habiter toujours que l'arrachement du passage à l'âge mûr et à la distance intellectuelle a quelque chose d'irrémédiablement tragique et indispensable : on pourrait y devenir bête à force d'y être bien, crever de sa Gemütlichkeit. Les grands Souabes s'en sont évadés, ils ont franchi l'horizon des collines.
C'est à Lauffen am Neckar que naît Hölderlin le 20 mars 1770, enfant de l'équinoxe, baptisé par le printemps (Frühling) d'une manière de rime fatale : longtemps il convoquera de lui-même le Jüngling, mixte d'adolescent et de jeune homme, que ses camarades d'école appellent “Hölder”,[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre LEFEBVRE : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, docteur, maître de conférences à l'École normale supérieure
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