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ARDANT GABRIEL (1906-1977)

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Bien que né en Suisse, à Bex, Gabriel Ardant est issu d'une très vieille famille de Limoges. Il fit ses études à Paris, au lycée Carnot, où il montre pour la philosophie des capacités brillantes. Aussi, lorsqu'il entreprend des études de droit – il eut le premier prix au concours général –, poursuit-il également celles de philosophie ; il obtient sa licence. Luttant alors contre une pente naturelle à la spéculation, il renonce à l'agrégation pour suivre les traces familiales dans l'inspection des finances. Après l'École libre des sciences politiques, il est reçu à son premier essai au difficile concours de l'inspection générale des finances en 1929.

Jusqu'à la guerre, sa carrière de haut fonctionnaire va se dérouler de façon traditionnelle. Remarqué à l'Inspection pour avoir découvert une première affaire de l'escroc Stavisky au mont-de-piété d'Orléans, il met en lumière le mécanisme qui est aussi celui des « bons de Bayonne ». Puis, après la « tournée », en 1935, il entre au ministère Laval comme chef de cabinet du ministre du Travail, L. O. Frossard, qu'il retrouvera en 1938, ministre des Travaux publics et dont il sera le directeur de cabinet.

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C'est alors que la guerre survient et le mobilise comme lieutenant au 6e bataillon de chasseurs mitrailleurs jusqu'en juillet 1940. Il revient ensuite au service de l'Inspection mais, en janvier 1943, quitte clandestinement la France et par l'Espagne rejoint le Maroc où il s'engage au 6e B.T.M ; puis gagne Alger où il est affecté à l'état-major. Il fait le débarquement en Corse et y représente le commissaire aux finances, Maurice Couve de Murville, réalisant dans ce département une réforme monétaire rigoureuse qui devait un peu plus tard servir de modèle à la Belgique. Délégué du commissaire aux finances, qui est maintenant Pierre Mendès France, il est chargé en 1944 de l'administration des territoires libérés, zone Nord. Puis il part à Londres comme chef de la section financière de la mission militaire de liaison administrative.

À la Libération, après un bref passage comme conseiller technique au cabinet du président du gouvernement provisoire, Félix Gouin, il devient secrétaire général du comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, fonction qu'il occupera jusqu'en 1953. Le renom qu'il acquiert alors, tant dans le domaine économique que dans celui des techniques modernes de gestion, le porte aux fonctions de commissaire général à la productivité, où il restera jusqu'à la suppression du poste en décembre 1958.

Dès lors, ses idées politiques et son penchant naturel vont coïncider pour le tenir à l'écart de toute fonction administrative, à l'exception bien entendu du service de l'Inspection générale des finances où il est inspecteur général depuis 1956. C'est à ce titre qu'il sera nommé en 1971 membre du conseil des impôts, puis vice-président du comité des inspecteurs généraux des finances.

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Son premier livre date de 1949 : Problèmes financiers contemporains. C'est le manifeste de la nouvelle école de la pensée économique française, qui emprunte beaucoup à Keynes pour l'action globale, mais avec un interventionnisme sélectif guidé par les choix du plan. Le marché subsiste mais se trouve encadré et surtout « moralisé » par une planification souple, « à la française ». Ces thèmes seront développés et approfondis en collaboration avec Pierre Mendès France dans La Science économique et l'action (1954), ouvrage modifié et mis à jour en 1973 sous le titre Science économique et lucidité politique.

À l'intérieur de la pensée économique de Gabriel Ardant, il faut encore distinguer trois autres rameaux très importants. Le premier, inspiré par ses fonctions au comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, se matérialise en 1953 dans Technique de l'État, préfiguration de la rationalisation des choix budgétaires (R.C.B.) et réflexion générale sur la productivité administrative. Le second, plus important, concerne la fiscalité et les finances publiques. Esquissé dès 1949, il aboutit d'abord, en 1965, à une thèse de doctorat ès lettres, Théorie sociologique de l'impôt. C'est ensuite, en 1972, la prodigieuse somme de l'Histoire de l'impôt, enfin, en 1976 l'Histoire financière de l'Antiquité à nos jours. Comme dans tous les ouvrages de Gabriel Ardant, on y retrouve un mélange qui le caractérise, fait d'une éblouissante érudition, d'une profonde réflexion philosophique au niveau le plus humain et de considérations pratiques et concrètes.

Le même mélange caractérise enfin le troisième volet de son œuvre, le plus intimement mêlé à son action : les écrits concernant le Tiers Monde. Marquée en 1963 par Le Monde en friche, en 1961, par La Tunisie d'aujourd'hui et de demain, en 1964, par Plan de lutte contre la faim, ainsi que par de nombreux articles (notamment sur la « monnaie marchandise », suggestion de son ami et collègue Rioust de Largentaye, et par un projet de schéma économique pour Vatican II), l'œuvre de Gabriel Ardant en faveur du développement ne s'est pas contentée d'être livresque. Le rôle politique qu'il joua, notamment dans les trois pays du Maghreb, où il se fit le champion discret et persuasif d'une décolonisation volontaire et amicale, témoigne que le philosophe était aussi un homme d'action sensible et courageux.

— Alain-Gérard COHEN

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