D'ANNUNZIO GABRIELE (1863-1938)
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Dans le mouvement littéraire de l'Italie unifiée, trois noms dominent tous les autres, et ce sont trois noms de poètes : Carducci, Pascoli, D'Annunzio. Il n'est pas établi que D'Annunzio soit le plus grand, mais il est incontestablement celui dont la renommée a eu, dans le monde entier, le plus de résonance.
Ses écrits comme sa personne ont été âprement discutés : ils méritaient de l'être, encore qu'avec plus de sérénité. Ses détracteurs auront beau jeu de lui reprocher son érotisme, son amoralité, son dilettantisme, ses poses, les outrances de sa pensée et le danger de conceptions qui ont fini par faire de lui une manière de chantre du nationalisme. Néanmoins, l'étendue de sa culture, la diversité de son talent, les ressources inépuisables de son imagination, la puissance de son verbe, la perfection de sa langue lui assignent une place à part, celle d'un écrivain exceptionnel. Il a voué son génie au culte de la beauté : il est poète et artiste, et il l'est souverainement.
Au seuil de la gloire
Né sur les bords de l'Adriatique, à Pescara, Ugo Gabriele, pour se débarrasser de ses provincialismes, va faire ses études secondaires en Toscane. Il est encore sur les bancs du collège Cicognini de Prato lorsque son premier recueil poétique, Primo Vere (1879), paraît en librairie. Les Odes barbares de Carducci ont été une révélation : il se met à en composer à son tour. Son petit livre en contient trente, d'aucunes singulièrement osées et excédant de beaucoup la conception de la vie qui est dans Carducci. Un an ne s'est pas écoulé qu'une seconde édition voit le jour (1880). Tout D'Annunzio est là en germe : son amour de la nature, sa sensualité, son sens du rythme. Ses dernières vacances scolaires achevées, il part pour Rome en novembre 1881 : il y oubliera la jeune Florentine avec laquelle il s'est fiancé, mais, du soir au lendemain, son Canto novo (1882), écrit pour elle, le rendra célèbre : cet hymne ardent à la mer, au soleil, à la joie de vivre devient en moins d'une semaine le chant de toute la jeunesse italienne. Au cours de cette même année, D'Annunzio, sur qui la lecture de Vita dei campi de Verga et de La Faute de l'abbé Mouret de Zola a exercé une influence décisive, publie ses premières nouvelles véristes : Terra vergine. Deux recueils suivront, en 1884 et en 1886, Il Libro delle vergini et San Pantaleone.
Les poèmes et les romans de l'« Enfant de volupté »
Rome grisera ce jeune Abruzzais et fera bientôt de lui le plus mondain des poètes, le plus prompt aussi à s'égarer et à se pervertir. Les recueils qui s'échelonnent de 1883 à 1893, réunis, pourraient porter le titre de « Poésies d'André Sperelli » – Sperelli, poète et aquafortiste, « jouet d'une monstrueuse chimère esthético-aphrodisiaque » et malade de décadentisme, est le protagoniste du premier roman du poète, Il Piacere (L'Enfant de volupté, 1889), dans lequel D'Annunzio a mis, de son propre aveu, « une bonne part de lui-même, ses excès et ses désordres ».
Les pièces admirablement ciselées qui composent l'Intermezzo di Rime (1883) disent la quête incessante de voluptés nouvelles et la lassitude de la chair. Elles font crier au scandale. Isaotta Guttadauro (1887), dédié à la jeune duchesse de Gallese, que D'Annunzio enlève, puis épouse en juillet 1883, chante la douceur de leurs noces et leur félicité. Mais plus d'une des « autres poésies » de ce recueil célèbre déjà l'amour de Barbara Leoni, « la belle Romaine », qui partagera pendant cinq ans l'existence du poète (1887-1892) : elle est l'Adriana de L'Invincibile (1890), première ébauche du Trionfo della morte ; Elena Muti, dans L'Enfant de volupté, tient d'elle sa beauté pathétique et sensuelle et c'est pour elle que sont écrites les pièces qui composeront La Chimera (1890) et les Elegie romane (1892), qui tracent la parabole d'une passion violente avec ses enthousiasmes triomphants, ses apaisements dans le bonheur et les tristesses de l'abandon. Le regret de Barbara occupe encore quelques pages du Poema paradisiaco (Poème paradisiaque, 1893), mais ce dernier recueil s'inspire surtout de l'amour d'une autre, la princesse sicilienne Maria Gravina y Cruyllas, à qui est dédié L'Innocente (1892), roman qui, sous le titre de L'Intrus, révélera, dans la traduction d'Hérelle, D'Annunzio à la France et y établira sa renommée.
D'Annunzio ne se tient pas pour autant à l'écart du mouvement culturel européen. Ses chroniques de La Tribuna montrent qu'il est à l'affût de tout ce qui paraît. Doué d'une prodigieuse faculté d'assimilation, il subit toutes les influences et, sans scrupule, prend son bien où il le trouve : ses plagiats déchaîneront une retentissante polémique. Il Piacere doit plus d'une page à Huysmans, aux Goncourt, à Péladan, à Amiel ; Giovanni Episcopo (1892), une des œuvres les mieux venues du naturalisme italien, se souvient des romans de Dostoïevski. Dans L'Innocente, au naturalisme lyrique s'ajoute, une fois de plus, l'évangélisme slave ; les récits véristes que nous avons dits et qui entreront, pour la plupart, dans les Novelle della Pescara en 1902, relèvent du réalisme et du naturalisme français, de Zola, toujours, mais surtout de Maupassant et de Flaubert ; de l'Intermezzo au Poème paradisiaque, enfin, les réminiscences de Gautier, de Baudelaire, de Verlaine, de Maeterlinck, de tels ou tels parnassiens, symbolistes ou décadents, sautent aux yeux. Pour nombreux qu'ils soient, ces emprunts, parfaitement fondus, ne nuisent en rien à l'unité artistique de l'œuvre.
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Écrit par
- Pierre de MONTERA : agrégé de l'Université, directeur honoraire du centre d'études supérieures et du lycée français de Rome
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