OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347)
À l'époque où naît Ockham, saint Bonaventure et saint Thomas sont morts depuis plus de dix ans et leur aîné Albert le Grand leur a survécu d'assez peu. Ni Raymond Lulle ni Roger Bacon, l'un largement quinquagénaire, l'autre probablement septuagénaire, n'ont cessé leurs combats, souvent prophétiques mais, dans la perspective de leur temps, plus ou moins marginaux. Si les condamnations de 1277, où l'évêque de Paris avait amalgamé à des propositions courtoises et hédonistes des thèses thomistes et averroïstes, pouvaient signifier pour l'aristotélisme une certaine dévalorisation, les nouveaux mouvements de pensée qui s'amorcent à la fin du siècle et se précisent aux débuts du suivant (tandis que le gothique commence à flamboyer et que des tendances humanistes se font jour en Italie et, plus modestement, dans le reste de la chrétienté latine) ne représentent pas vraiment un retour à la simple tradition augustinienne ou à la spiritualité monastique illustrée par les cisterciens. Les leçons d'Albert et de Thomas restent prépondérantes chez les dominicains ; dans leur rameau rhénano-flamand, l'influence néo-platonicienne infléchit la doctrine de ces maîtres vers un mysticisme spéculatif. En revanche, les franciscains se nourrissent de plus en plus de logique aristotélicienne et, tout en marquant très fort le primat de l'amour et du vouloir ainsi que la contingence du créé, commencent à multiplier distinctions et subtilités. La « voie moderne » qu'ouvre maintenant Ockham rejoint sans doute des positions qui rappellent le nominalisme du xiie siècle, mais son armature théorique est plus ferme et son insistance sur la « puissance absolue » de Dieu, d'origine théologique, contient les éléments d'une critique implicite adressée à l'ancienne cosmologie ; elle conduira certains maîtres parisiens à l'ébauche d'une recherche empirique (sinon expérimentale) des « habitudes de la nature », dépendant de la puissance « ordonnée » (ou « conditionnée ») du Créateur et non déductibles d'une structure éternelle qui s'imposerait à Dieu lui-même.
Le « venerabilis inceptor »
Né à Ockham, dans le Surrey, Guillaume devient franciscain à une date que nous ignorons. Étudiant à Oxford, il y commente le Livre des sentences de Pierre Lombard entre 1318 et 1320. Il ne sera jamais maître en théologie, mais seulement inceptor, c'est-à-dire simple candidat à la maîtrise, titre qu'on interprétera ensuite en appelant Guillaume le « vénérable initiateur », pour souligner ses novations résolues en ce qui concerne la théorie de la connaissance. C'est en 1324 que ses études sont interrompues ; sur la dénonciation du chancelier de l'Université, John Lutterel, il est convoqué à Avignon, où le pape cahorsin Jean XXII combat sur plusieurs fronts avec une vive ardeur. Au moment même où les franciscains le poussent à condamner Eckhart, que soutiennent les dominicains, le pape ordonne une enquête sur certaines propositions enseignées par Ockham à Oxford. Mais le problème se déplace bientôt. Les juges trouvent sans doute quelque peu incongrues les formules de Guillaume dans le domaine gnoséologique, et les conséquences théologiques qu'il paraît en tirer. Mais sur ce point aucune condamnation formelle n'interviendra. Entre-temps, au cours de son séjour de quatre ans à Avignon, Ockham s'est lié à la fraction de son ordre qui défend contre le pape la pauvreté intégrale telle que l'avait voulue saint François, notamment au juriste Bonagrazia et au ministre général des Frères mineurs, Michel de Césène. Le paradoxe de l'affaire est que ces « spirituels », pour mieux défendre leur cause, vont se faire les alliés, et même bientôt les agents, de Louis de Bavière dont Jean XXII refuse la désignation comme empereur et qui pourtant se fait couronner à Rome par[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Jeannine QUILLET : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil
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